De la bonne façon de se faire identifier 🇺🇸 #237 Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula
Paula ne peut continuer à se promener en voiture sans un permis de conduire américain; son obtention l’oblige à passer sous les fourches caudines des petits bureaucrates.
La dame me toise depuis son pupitre et, portant son doigt à son oreille, me sermonne: je ne l’écoute pas, tient-elle à me signaler. Elle me rappelle aussi que j’ai le devoir de lui parler un ton plus bas. Je lui dis être un peu sourde et cela la calme immédiatement, sans doute de crainte que je ne lui colle un procès pour ne pas avoir respecté mes droits de malentendante. En fait, j’ai une ouïe normale, mais dans ce large bâtiment le volume sonore est élevé et toutes les quinze secondes, une voix invite le numéro X à rejoindre le guichet Z. Je voudrais être ce numéro X et je reconnais volontiers avoir été quelque peu agacée: je me trouvais pour la seconde fois au service des permis de conduire où la file d’attente pour atteindre les agents qui délivrent les sésames numérotés prend au moins une heure. Si les dossiers ne sont pas complets, impossible d’obtenir un numéro de passage.
Au suivant…
La première fois, à ce stade du processus, un monsieur m’avait enjoint d’aller suivre trois heures de cours sur la sobriété au volant, de passer le test de connaissance prouvant ma connaissance dudit, et d’en rapporter l’attestation de réussite. J’ai pu suivre ce cours en ligne, ce qui me donnait le temps de traduire quelques termes bien trop spécifiques et de décrypter des informations juridiques qui m’étaient totalement étrangères. En résumé, la loi dans l’État du Maryland est simple et de bon sens: il vaut mieux s’abstenir de fumer un joint – voire plus pour les amateurs de drogues plus décapantes – ou de trop boire. Et si l’on peut aller jusqu’à trois verres, il existe néanmoins une règle bien plus stricte qu’en France: on ne peut pas avoir dans l’habitacle de la voiture un contenant d’alcool ouvert. Vos passagers n’ont pas le droit de se murger pendant que vous conduisez sauf si vous êtes chauffeur de taxi, de bus, d’attelage, etc.…et la notion de contenant est suffisamment large pour qu’un pack de bières ouvert – le pack, pas ses bouteilles – vous mette en infraction. Ma seule erreur dans le test que je suis allé passer dans un centre spécialisé dans la remise sur le droit chemin des conducteurs fautifs, a porté sur le pourcentage des jeunes arrêtés en état d’ébriété en 2008.
Mari requis…
Je pensais donc que pour ma seconde visite au bureau des permis de conduire il me suffirait de présenter mon attestation, une preuve de résidence et mon permis de conduire français. Après trois mois dans le pays la loi dit qu’il est nécessaire pour conduire d’avoir un permis américain, lequel se trouve être aussi fort utile comme pièce d’identité, surtout chez les marchands de tabac et de vins qui ont l’obligation de vérifier que j’ai plus de vingt-et-un ans. Pour une quinqua comme moi, c’est plus ridicule que flatteur.
Me voici donc mal engagée avec la préposée aux tickets d’admission du service qui veut vérifier au préalable que j’ai bien tous les documents requis. Las, je ne peux présenter qu’une seule preuve de résidence à mon nom, le courrier de l’immigration que j’ai reçu à notre adresse. Or, il faut deux courriers envoyés par la poste. J’ai bien une facture d’électricité, mais elle est au nom de Marco et, me dit la préposée psychorigide, il aurait fallu qu’il vint en personne signer une attestation, certifiant qu’il m’autorisait à loger chez lui. Mon certificat de mariage ne vaut rien. Monsieur doit être là…
Prouvez-le…
Les nomades, parfois appelés sans domicile fixe, rencontrent souvent le problème de prouver leur « résidence ». J’ai connu cela à Marseille pendant une période de dèche où je logeais à titre gratuit dans une chambre de bonne sans eau ni électricité. Je n’avais donc pas d’autre preuve de résidence qu’un certificat d’hébergement informel. Parce que je ne pouvais pas présenter une bête facture d’eau ou d’électricité, je m’étais vue refuser l’inscription dans un bibliobus, ce qui avait déclenché chez moi une rage – de celle qu’il vaut mieux ne pas laisser s’exprimer – si forte que lors de ma fuite vers ma tanière pour y cacher cette humiliation, en croisant une personne, je m’étais imaginée en train de la découper en morceaux. Alors, je peux comprendre, ce qui ne veut pas dire excuser, la haine que le déni d’identité peut provoquer.
Mais ce qui est un petit problème sous nos climats prend une ampleur systémique sous d’autres latitudes. Je pense à toutes ces personnes dont la naissance n’a jamais été enregistrée et qui de ce fait connaîtront les pires difficultés pour aller à l’école ou accéder aux services sociaux de base. En Haïti, j’ai travaillé pour un projet d’inscription des enfants à l’état-civil. Nos équipes accompagnaient les familles dans leurs démarches pour des enregistrements de rattrapage. En l’absence d’acte de naissance, elles pouvaient présenter deux témoins de la naissance. Même facilitante, cette solution s’avérait compliquée pour des familles déplacées après le tremblement de terre.
D’aucuns pensent que les registres électroniques sont la clef permettant de conserver des données indépendamment des accidents de la vie qui peuvent entraîner une perte des papiers d’identité. Mais cette solution magique à un revers. Au Kenya par exemple, des associations de défenses des minorités ont mis le système national d’état civil biométrique en procès tant les démarches pour se faire enregistrer sont discriminantes. Les partisans du Kenyan pur jus en profitent pour refuser la nationalité aux descendants des Nubiens du Soudan, des Indiens et autres travailleurs « importés » par les Anglais lorsqu’ils gouvernaient le pays.
Alors, je vais cesser de me plaindre et j’amènerai Marco avec moi la prochaine fois. C’est aussi simple que cela. Pas de quoi fouetter un chat, ni même une préposée irascible.
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