Plaisirs coupables. Une bergère contre vents et marées… 🐑 #97
Certaines habitudes quotidiennes sont délectables mais pas plus durables qu’équitables. En s’y adonnant, on se rend coupables de moult crimes contemporains… Mais sont-elles évitables?
Nous avons tous entamé un cheminement climato-conscient. Nous n’en sommes pas au même stade mais nous n’en traversons pas moins des questionnements de fond. Pour certains, on peut parler de véritable remise en cause d’une manière de consommer (eux, c’est le niveau expert). Pour d’autres, qui y viennent plus timidement parce qu’ils ont des défis plus graves à gérer au quotidien, l’avancée est plus timide (niveau initiation).
Il est sûr que davantage que la loi – nul n’est censé l’ignorer- c’est la menace sur notre qualité de vie sur terre que plus personne ne peut franchement nier.
La pomme bio d’à côté et la pomme chilienne
Dans notre manière de consommer, il y a des choix simples à faire. Cela ne veut pas dire que l’on peut se les permettre, mais on distingue facilement la pratique vertueuse de la pratique coupable. Entre acheter une pomme bio de notre région au marché du samedi matin, et une pomme chilienne dans un hypermarché de Zone d’Activité un dimanche férié, nous sommes désormais tous capables de citer la première option comme étant la « bonne ». L’exemple est assez manichéen.
Mais entre notre sincère bonne volonté et notre capacité à faire le bon choix, on trouve une ribambelle de petits plaisirs qui sont le sel de la vie. Qui sont même le propre de l’humanité. Comment gérer? S’en affranchir serait un pas sacrément courageux, mais à quoi bon vivre si on se coupe de tous ces plaisirs délectables? Est-il possible de vivre chaque jour en mercenaires résilients sans devenir un lugubre donneur de leçon?
Avoir un animal de compagnie
Si on liste le volume de plastique nécessaire pour élever un chat ou un hamster, on atteint des sommets! Bac à litière, écuelle, distributeur de croquettes, fontaine à eau, jouets, portions individuelles de nourriture, panier lavable, pipettes, sacs à crottes, déodorant pour litière… En y réfléchissant, voilà un plaisir entièrement dépendant du plastique (on essaie d’imaginer élever un chat sans aucun recours à la pétrochimie? incluse la surconsommation du camion-poubelle pour ramasser les sacs de litière usagée). Je suis de mauvaise foi en dénonçant cela, car les solutions vertueuses sont lourdes au quotidien (j’ai testé): aller chercher du vrai sable pour la litière, cagette en bois et journaux, croquettes en vrac, vermifuge aux huiles essentielles, et autres variations onéreuses et peu pratiques.
Il faut s’y faire : un animal de compagne est un plaisir consumériste qui ne peut se justifier au tribunal de l’environnement que si le bien-être qu’il nous procure contrebalance son empreinte carbone. Par exemple si cohabiter avec lui permet à la société d’économiser antidépresseurs ou une autre dépendance pour rompre la solitude et reprendre confiance en soi?
Fêter les anniversaires
A titre perso, j’abhorre ce protocole qui rend les enfants crétins dès qu’ils pigent en quoi consiste ce rituel: se gaver de bonbons et réclamer des cadeaux à tout l’entourage. La symbolique primitive est évidemment riche de sens (une manière de conjurer la mort) mais l’application occidentale en a fait une corvée aussi vulgaire qu’Halloween et la Saint-Valentin réunis. Avec de surcroît le risque de blesser dans leur ego ceux dont on oublie la date d’anniversaire. Convier des gens pour qu’ils viennent nous célébrer, faire la tronche s’ils n’amènent pas un cadeau original et personnalisé, juste parce qu’on a fait l’effort de naître? Je vois difficilement posture plus arrogante. Ne serait-ce pas plutôt à nous de rendre hommage à ceux qui nous ont élevés, le jour de notre anniversaire? Les anniversaires festifs cochent toutes les cases de l’absurdité environnementale: cumuler un kilométrage fou, se pochtronner avec de l’alcool bas-de-gamme, acheter de la décoration jetable aussi moche qu’inutile, ouvrir des dizaines de boîtes suremballées de biscuits-apéro, chips, bonbecs ou brownies prédécoupés, après avoir erré dans les rayonnages des boutiques les plus toc du quartier en se forçant à acheter un cadeau suffisamment « waou » pour que son destinataire ne se sente pas offensé. Compenser sa médiocrité par une débauche de papier brillant et des kilomètres de bolduc à jeter. Profitez de l’alibi pour se racheter une tenue endimanchée qu’on ne remettra jamais.
L’école primaire de mon fils fête les anniversaires jusqu’en CM2, avec obligation morale d’apporter un gâteau « emballé » et des boissons. Même la maîtresse fête son anniversaire à l’école (oui, celle de CM2).
Moi présidente, j’abolirais les fêtes d’anniversaires.
Se sentir belle et sûre de soi
Un chapitre qui se décline (hélas) en de nombreuses sous-thématiques.
On élimine la mode tout de suite, car les méfaits de la « fast-fashion » sont dénoncés depuis assez longtemps pour qu’on soit alertés sur ses dégâts à échelle mondiale. Ce cercle vicieux tient en trois lignes: fibres issues de la pétrochimie (acrylique, polyester…) ou coton OGM polluants, filés en Asie par des mômes sans protection, cousus dans des ateliers par des femmes exploitées (Bangladesh, Turquie…), mis en rayon par des « Gilets Jaunes » sous-payés, ou emballés par des précaires chez Amazon, portés trois fois par une greluche citadine qui rêve de chic en lisant ELLE, lavés deux fois en machine (l’occasion pour le textile de perdre non seulement sa tenue mais aussi une partie de ses microfibres plastiques qui iront remplir l’océan), jetés en container, triés par un bénévole en réinsertion et envoyés en cargo en Afrique, pour vêtir le paysan burkinabé qui ne parvient pas à gagner sa vie en cultivant le coton OGM que Monsanto lui impose.
Ce schéma est désormais connu, mais pas facile à abandonner. Par exemple, avant un rendez-vous important, on est tous pareils: on trouve fatigué notre blazer acheté il y a plusieurs années, ringards ceux des magasins de seconde-main, trop chers ceux des vraies marques éthiques françaises, alors on se rachète un tailleur et un chemisier dans une chaîne de fast-fashion.
Les autres dimensions de la beauté relèvent du même paradoxe: on voudrait bien améliorer nos pratiques, mais le monde autour de nous n’avance pas vite. Passé 35 ans, dans de nombreux domaines professionnels, il est franchement difficile de sortir sans aucun maquillage ni crème contour-des-yeux efficace. Question de vie en société pour ne pas qu’on nous trouve l’air triste ou malade. Les « beautés nature » des brochures de la BioCoop, ce sont des mannequins de 21 ans et elles sont maquillées. Normal qu’elles aient l’air fraîches. Les vrais gens de la vraie vie ont des ridules, des petits boutons, des cicatrices, le teint terne, des veines visibles, des sourcils manquants, des cernes violettes, etc.
Pourtant, renoncer aux cosmétiques permettrait, outre d’alléger considérablement son budget, d’économiser un sacré paquet de flacons en plastique. Entre les monodoses de sérum, le rituel de démaquillage en plusieurs étapes, les étuis rechargeable et la mauvaise couleur de rouge à lèvre qu’on garde 3 ans avant de jeter sans l’avoir porté, il y un vrai potentiel d’amélioration. C’est juste qu’on se trouverait moche tout le temps, sans aucun espoir de subterfuge pour retrouver confiance certains matins, avant de partir à la guerre.
Plumage et ramage
Et puis il y a les cheveux, ce plumage qui dit tout de nous, et qu’on souhaite donc variable et protéiforme. Il traduit notre âge bien sûr, mais aussi notre santé, notre audace, la place que l’on prend. L’humilité avec laquelle on le dompte ou on l’ébouriffe est un exercice social qui n’a rien de factice: les animaux font de même, oiseaux en tête. Que l’objectif soit la séduction amoureuse, l’élargissement de son territoire de chasse ou de prendre la place du chef de meute, les plumes et les poils doivent être réactifs et traduire nos intentions en codes visuels immédiatement compréhensibles par autrui.
Concrètement, vouloir greeniser ses produits capillaires, c’est comme se mettre en retrait de ces codes sociaux-là. Renoncer à teindre ses cheveux blancs, c’est assumer la dégradation de nos cellules et se rendre vulnérables: la réprobation de sa coiffeuse comme de sa famille, en tout cas de ceux qui sont plus jeunes que nous! Passer au shampoing solide, c’est renoncer au silicone, ces molécules qui donnent (temporairement) un aspect gainé, brillant et sain à la chevelure. Sur cheveux longs, le shampoing solide va d’abord donner l’impression d’être négligée, pas démêlée et pas coiffée. Il faut être persévérante (ou partir en vacances en solo dans une forêt) pour tenir le cap! S’affranchir des produits de coiffage, c’est aussi la tentation de les laver plus souvent pour les ordonner de manière présentable. N’est-ce pas contreproductif, si cela engendre davantage d’utilisation d’eau chaude et de séchage ?
Rendre sa consommation plus responsable est un sujet évidemment trop vaste pour tenir en une chronique futile, mais, travaillant seule et à la campagne, j’ai la chance d’être confrontée à tout ce que j’évoque dans les paragraphes précédents.
Mes consœurs citadines, parisiennes en particulier, me semblent impliquées dans des combats à l’urgence trop visible, entre parité, jonglerie familiale et iniquité des salaires, pour qu’on vienne leur dire comment gérer leur brushing, leur tailleur en textile moderne sans repassage ou leur blush pour donner une illusion de fraîcheur, nécessaire après une demi nuit blanche et 1h de transport debout en talons.
Qu’elles sachent que la France est riche de merveilleux territoires à faire vivre, de villages remplis de maisons bradées, où elles ne seront ni jugées ni culpabilisées en cas de cheveux rêches ou de tenue datée.
Ici, on peut échapper aux injonctions à consommer, il suffit d’éteindre la télévision. Vous pourrez aller chercher vous-même du sable pour la litière du chat et prétendre qu’il n’y a pas de boutique à proximité pour éviter les débauches de cadeaux d’anniversaire. Vous serez libérées des affichages publicitaires de sous-vêtements hors-de-prix bombardés dans le métro (ici, une culotte dure toute une vie!) et irez acheter des pommes bio locales au marché pour moins cher que les pommes chiliennes d’hypermarchés citadins.
Les plaisirs coupables y sont beaucoup plus excusables, et l‘épicurisme bien plus durable.
“Une bergère contre vents et marées”: tous les épisodes
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film “Jeune Bergère” de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)♦ Stéphanie Maubé dans l’émission “Les pieds sur terre” – France Culture: (ré)écouter (07/04/2015)
♦ Le portrait de Stéphanie Maubé dans Libération (26/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter “On va déguster“: (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
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