Câest au tour de ZoĂ© de passer quelques jours Ă Paris et dây mettre Ă lâĂ©preuve sa nouvelle vie. Une tranche dâincrĂ©dulitĂ© et, entre gratitude et soupçon, lâhĂ©sitation.
« Je pense donc je suis »
Quâest-ce quâon gagne Ă vivre ce quâon vit aujourdâhui avec Robin? Une maison avec « jardin », un endroit Ă vivre beau, spacieux, sauvage et confortable comme on ne pourra jamais sâen offrir dans dâautres conditions, accompagnĂ© dâun salaire pas dĂ©gueu. Câest important! Mais ça nous est finalement extĂ©rieur, comme accessoire. Tangible et cependant Ă©phĂ©mĂšre, vaporeux. Ce qui me semble opĂ©rer en nous un changement rĂ©el, câest surtout la place pour penser que cette opulence dĂ©gage. Elle est grande cette place, je rĂ©flĂ©chis beaucoup. En rond souvent mais je cogite.
Je suis absolument dâaccord avec le dernier article de Robin: lâimportance de se dĂ©localiser temporairement de son lieu de vie pour lâapprĂ©cier autrement et la chance que nous avons lui et moi de pouvoir le faire presque comme ça nous chante, lâinsatisfaction chronique qui nous caractĂ©rise, la plĂ©nitude que la vie sur lâĂźle suscite, lâincroyable luxe et plaisir quâil y a Ă pouvoir organiser son temps comme on le souhaite, prendre le temps dâapprendre, de chercher, dâoublier, dâobserver le monde alentour. Jâai aimĂ© son article et je partage toutes ses Ă©motions et son dĂ©sir de cultiver le sentiment de rĂȘve que notre nouvelle vie nous inspire. Et pourtant⊠je diffĂšre. Evidemment: le rĂȘve, ce nâest pas la rĂ©alitĂ©. Comment rĂ©ussir Ă croire en cette vie?
PrĂ©caritĂ© du rĂȘve
Jâadore lâĂźle et ce quâelle exige, mais jâavais hĂąte et jâĂ©tais excitĂ©e Ă lâidĂ©e de retourner quelques jours Ă Paris. Une fois sur place, jâai Ă©tĂ© frappĂ©e par lâimpression de ne plus y ĂȘtre chez moi. Si vite, je ne mây attendais pas. ArrivĂ©e gare Montparnasse, mes tickets de mĂ©tro ne fonctionnent plus, je les sais valides, jâinsiste, jâen essaie plusieurs. Ma persĂ©vĂ©rance rompt le rythme cadencĂ© de lâouverture et de la fermeture des barriĂšres et je sens dans mon dos le souffle exaspĂ©rĂ© de ceux qui souhaitent sâengouffrer dans les couloirs du mĂ©tro et que je semble mâĂ©vertuer Ă gĂȘner. Je renonce enfin et cherche du regard un distributeur de tickets. Mes yeux se perdent dans la densitĂ© des trajectoires qui se croisent et me voilĂ un peu perdue. Quelquâun mâaccoste pour me vendre je ne sais quoi et je me sens agressĂ©e. Ce sentiment dâagression, si prompt, mâĂ©pate: me voilĂ donc de nouveau provinciale! Je nâen reviens pas.
Quelle importance, nâest-ce pas? Car jâai un chez moi, sur lâĂźle, il est beau et je mây sens bien. Sauf que ce nâest pas chez moi⊠câest Ă Paris que je me suis rendue compte que ma nouvelle vie me semblait prĂ©caire. Plus prĂ©caire que celle de Paris oĂč je ne possĂ©dais pourtant rien et voguais de CDD en CDD. PrĂ©caire parce que si je ne fais pas lâaffaire, ou si je change dâavis, câest toute ma vie quâil me faudra refonder. Ma maison câest mon travail. Je nâavais pas anticipĂ© lâĂ©trangetĂ© que cela pourrait gĂ©nĂ©rer. Si je ne travaille pas, je nâai plus de maison. Ma maison nâest pas sĂ»re, une dĂ©cision et je nâen ai plus. Câest un sentiment difficile Ă traduire puisque quand on loue un appartement, la situation semble similaire. Et pourtant la maison et le travail sont gĂ©nĂ©ralement des champs distinguĂ©s. Si on dĂ©cide de changer de travail, ou si le travail ne veut plus de nous, ça ne remet gĂ©nĂ©ralement pas en question le foyer. Et puis, il faut bien dire quâon nâoccupe pas nâimporte quel foyer. Jamais je ne pourrais reconstruire un foyer si⊠tout.
Winter is coming
Ainsi, si Ă Paris jâai Ă©tĂ© accueillie, cĂ©lĂ©brĂ©e mĂȘme, par mes amis, ravis de me voir, de mâentendre raconter mes aventures, de me laisser squatter leur maison, je me suis perçue voguant de place en place et ai Ă©prouvĂ© mon dĂ©racinement. Paris est devenue un lieu de passage oĂč plus rien ne mâappartient. LâĂźle ne mâappartient pas non plus, jây suis tolĂ©rĂ©e tant que le soin que jây apporte est apprĂ©ciĂ© et nĂ©cessaire. Je nâai donc plus de place, plus de lieu de repli.
Deux attitudes face Ă ce qui ne peut quâĂȘtre, en effet, notre « meilleure vie ». Celle de Robin, lumineuse cigale qui souhaite savourer chaque moment dont cette si belle vie nous rĂ©gale. Celle de ZoĂ©, sombre fourmi, qui apprĂ©hende lâhiver Ă venir, comme un refus face Ă la beautĂ© de ce qui lui est offert. (Je mâexcuse un peu pour ce parallĂšle facile avec la fable de La Fontaine mais la possibilitĂ© de placer ce sous-titre me fait trop sourire pour que jây renonce!)
Cogitations insensĂ©es? Peut-ĂȘtre. LâĂ©criture de ces articles me rend sensible le rapport visiblement conflictuel que jâentretiens avec la sĂ©rĂ©nitĂ©. Je ne mâenvisageais pas si pĂ©nible⊠Que câest fatiguant ces esprits torturĂ©s qui ne peuvent apprĂ©cier lâinstant prĂ©sent, tranquillement. Oui, mais câest intĂ©ressant, aussi, toutes ces idĂ©es qui me traversent lâesprit. Je pense que je les entretiens, elles me gardent en vie.
Le repos, câest pour les morts, non? On se rassure comme on peutâŠ
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