Le printemps arrive enfin sur l’Ăźle de Robin et ZoĂ© et, aprĂšs un mois passĂ© avec l’ancien gardien de l’Ăźle chargĂ© de leur transmettre ses connaissances, vient le temps pour eux de voler de leurs propres ailes. L’occasion pour Robin de revenir sur sa rencontre avec l’ancien gardien et de prendre un peu de recul sur le dĂ©but d’une nouvelle vie peu ordinaire.
Un mois. C’est, en tout et pour tout, le temps que nous aurons passĂ©, ZoĂ© et moi, avec l’ancien gardien de l’Ăźle. Au moment oĂč nous avons Ă©tĂ© embauchĂ©s, un « deal » avait en effet Ă©tĂ© passĂ© entre lui et les propriĂ©taires afin qu’il facilite notre prise de fonctions en nous formant aux tĂąches les plus techniques et aux manĆuvres les plus pĂ©rilleuses. AprĂšs quelques courts sĂ©jours de formation au dĂ©but de l’hiver et un mois de fĂ©vrier passĂ© seuls sur l’Ăźle, nous venons donc de vivre une vingtaine de jours avec lui, du matin au soir. Un laps de temps finalement trĂšs court, mais qui me paraĂźt aujourd’hui inversement proportionnel Ă la quantitĂ© de choses apprises Ă ses cĂŽtĂ©s et au nombre d’Ă©vĂ©nements, de tracas, de moments d’agacement et de rires que nous avons pu tous les trois partager.
Un objet de fascination
Il y a quelques annĂ©es, lorsque j’ai eu la chance de venir pour la premiĂšre fois sur cette Ăźle, je crois que j’ai autant Ă©tĂ© fascinĂ© par la beautĂ© de l’endroit que par l’aura de son gardien. Comme beaucoup, j’ai toujours Ă©tĂ© attirĂ© par les personnages mystĂ©rieux. Dans les cafĂ©s par exemple, je suis souvent pris d’affection pour les personnages dĂ©calĂ©s, les piliers aux yeux lourds, les dĂ©cadents. J’en crĂ©e des mythes, je leur fais vivre des histoires imaginaires et je ne cherche que trĂšs rarement Ă connaĂźtre leur parcours ou leurs pensĂ©es, de peur sĂ»rement d’ĂȘtre rattrapĂ© par une rĂ©alitĂ© trop plate ou des vĂ©ritĂ©s trop lourdes Ă porter. Je prĂ©fĂšre les observer en silence. Mais en arrivant sur cette Ăźle pour la premiĂšre fois, j’ai trouvĂ© lĂ un client Ă part, discret, taiseux, d’une grande force physique et qui m’a de suite paru abriter bien des connaissances et des secrets. En repartant de l’Ăźle cette mĂȘme annĂ©e, je me souviens avoir Ă©crit sur un cahier quelques lignes exprimant Ă la fois cette fascination que j’avais eue pour lui durant ce sĂ©jour et le puissant dĂ©sir que j’avais de le connaĂźtre et de comprendre Ă quoi pouvait bien ressembler sa vie, seul depuis tant d’annĂ©es sur ce bout de terre. Cette fois-ci, je n’avais pas peur d’ĂȘtre déçu ou peinĂ©. Je voulais Ă tout prix le connaĂźtre. PersuadĂ© que cela n’arriverait jamais, j’Ă©tais alors loin d’imaginer que cet homme deviendrait un jour un ami, un compagnon de route et de galĂšre, et qu’il m’aiderait Ă transformer ce qui n’Ă©tait alors qu’un pur fantasme en une concrĂšte rĂ©alitĂ©.
Le passage de flambeau
VoilĂ donc prĂšs d’un mois que nous vivons Ă trois. OccupĂ©s, chaque jour ou presque, Ă mettre en Ćuvre quelque chose de nouveau, Ă rĂ©parer un truc cassĂ© la veille, Ă rĂ©flĂ©chir, Ă organiser les approvisionnements nĂ©cessaires aux travaux en cours, etc. La logistique est loin d’ĂȘtre notre seul souci. En vĂ©ritĂ©, lorsque l’on est isolĂ©s, tout peut vite s’avĂ©rer trĂšs compliquĂ©. Le vent, l’air chargĂ© en iode et les intempĂ©ries n’aident pas: tout ici s’use et s’abĂźme trĂšs vite. Ă quelques exceptions prĂšs, nous n’avons aucune garantie que ce qui fonctionne un jour fonctionnera Ă©galement le lendemain. Cela vaut autant pour les bateaux que pour les outils dont nous nous servons pour les travaux et l’entretien. Au-delĂ d’un apprentissage purement technique sur certains points essentiels Ă la bonne tenue de l’Ăźle, voilĂ donc ce que l’ancien gardien a su m’enseigner: la patience. S’il faut parfois s’Ă©nerver et extĂ©rioriser la rage qui peut nous envahir lorsque quelque chose nous rĂ©siste trop, il faut aussi et surtout savoir garder son calme et recommencer nos actions jusqu’Ă ce que les choses fonctionnent. Pour quelqu’un comme moi qui a tendance Ă facilement perdre son calme et sa patience, cet enseignement est loin d’ĂȘtre vain. Assez vite d’ailleurs, j’ai pris goĂ»t Ă la rĂ©pĂ©tition. En peu de temps seulement, je sais dĂ©jĂ que je suis en train de changer. Je me vois prendre du plaisir lĂ oĂč, il y a peu, j’aurais eu tendance Ă tout envoyer valser en cognant dans les murs. Loin d’ĂȘtre tout Ă fait au point lorsqu’il s’agit de changer un disque sur une disqueuse, de souder une piĂšce ou de repĂ©rer la source d’une fuite d’eau, j’apprends nĂ©anmoins Ă sourire de mes Ă©checs et du temps que je perds parfois faute de savoir m’y prendre.
MotivĂ© par l’idĂ©e d’apprendre sur moi-mĂȘme et d’apprendre surtout Ă gagner en autonomie d’un point de vue pratique, les coups de sang, la lassitude parfois grande et la frustration liĂ©e Ă l’Ă©chec s’effacent bien vite, lorsque je prends du recul, face Ă la joie que me procure l’impression d’avancer, et d’Ă©voluer. Souvent, lorsque je m’assieds quelque part pour admirer le paysage ou observer les oiseaux, je suis pris d’un sentiment de plĂ©nitude. Si je ne sais pas toujours ce que je fais quand je le fais, je sais pourquoi je suis lĂ et je sais que cela me rend heureux. Et, comme dirait l’ancien gardien: « c’est tout ce qui compte ».
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