Melody Gardot: Douceur d’un soir. Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #160
Paula d’un coté, Marco de l’autre…
Ce pourrait être un bouleversement, c’est juste une anecdote – en moins de deux semaines Paula a mis les voiles, direction le Moyen-Orient…
Paula’s gone in Amman …
Paula partie, j’ai cherché de quoi contrecarrer mes humeurs. Il y a deux soirs, j’ai trouvé un sacré contrefort: une station de jazz – qui s’annonce 100% jazz, 24 heures sur 24 – sauf bien sûr qu’elle diffuse aussi du blues. C’est plutôt pour me plaire – l’autre soir, avec le frangin, je me remémorais justement un de mes premiers coups de foudre musicaux : « Jazz Blues Fusion », l’enregistrement d’un concert de John Mayall en 1971. Lequel, m’a-t-il glissé incidemment, est venu il y a quelques années donner un concert dans la région de Rouen (il faut ajouter qu’à plus quatre-vingts ans, il continue de produire des albums).
Notre conversation a ensuite glissé sur cette manie qu’ont certains groupes culte, qu’il s’agisse des Rolling Stones, de Deep Purple, de Led Zeppelin ou de Ten Years After, de vouloir venir hanter nos vieux jours avec un dernier tour sur leur trente-trois. Ils avaient donné un tempo à notre jeunesse, bientôt leur musique servira de bande sonore aux maisons de retraite. A moins que ça ne soit déjà le cas.
Jazztime …
Avec le jazz au moins, il est possible d’échapper à la nostalgie des époques disparues, de s’évader du répertorié et de l’attendu de notre génération, tout en gardant un pied dans le monde moderne – la fureur des guerres mondialisées, ses maisons de banlieue avec double garage, les champignons nucléaires en décors, l’individualisme et la contraception, les génocides tentaculaires, les luttes de libération, les pantalons à pattes d’éléphant, etc.
J’aime l’atemporalité du jazz – pour moi le jazz est à la musique ce que le nomadisme est à la vie sédentaire, une possibilité de ne pas guetter les amers sur un océan musical sur lequel se laisser partir à la dérive. Je me souviens du jour, à la fin des années 70, quand je découvris le « Köhln concert » de Keith Jarret chez un ami mansardé à Paris. Il faisait gris et froid, ce jour-là, et c’est le seul souvenir que je peux y accrocher – rien du monde de cette époque-là ne s’y attache. Keith Jarret n’est, pour moi, ni d’hier ni d’aujourd’hui, il est d’un univers exempt de nos turpitudes et de nos humeurs historicisées.
Aucune surprise donc à ce que je m’exile avec délices dans le jazz. Je lâche les amarres. Et, au creux d’une vague, parfois, un coup de cœur; hier soir je me suis laissé prendre par le charme d’une sirène: Melody Gardot. Je me suis laissé intriguer par son « Baby I’m a Fool ». Évidemment elle connaît ses classiques, et en joue avec une sorte d’insolence qui m’a charmé: « Ain’t No Sunshine » …
Et donc, encalminé au milieu de mes pommiers en fin de floraison pendant que Paula prend le large, c’était mon aventure jazz d’un soir.
Aparté
Je suis tombé dans « Tristes tropiques » sur une réflexion de Claude Lévi-Strauss, en route vers New-York après la défaite française de 1940. Après avoir évoqué « ce mélange de méchanceté et de bêtise » dont ont fait preuve des officiers français vis-à-vis des réfugiés du bateau, il écrit à propos du désarroi de ses compagnons d’infortune :
« Mais moi, qui avais vu le monde et qui, au cours des années précédentes, m’étais trouvé placé dans des situations peu banales, ce genre d’expériences ne m’était pas complètement étranger. Je savais que, de façon lente et progressive, elles se mettaient à sourdre comme une eau perfide d’une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité chaque jour plus grande de ses problèmes, comme si son épiderme eut été irritée par le frottement résultant d’échanges matériels et intellectuels accrus par l’intensité des communications. »
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