Théâtre. « La Conférence des objets », Christine Montalbetti ou le parti pris des choses 🎭
La romancière, dont plusieurs textes ont déjà été transposés au théâtre, signe sa première mise en scène avec cette pièce écrite pour des acteurs de la Comédie-Française où des objets divers prennent la parole en l’absence de leur propriétaire. Sans tapage, mais avec une charmante délicatesse, ils nous font partager leurs états d’âme. Une merveille.
Il y a, bien sûr, ce vers abondamment cité: « Objets inanimés avez-vous donc une âme (…)« . Incantation passée dans la langue de tous les jours et tellement banalisée qu’on en a oublié le nom de l’auteur – un certain Alphonse de Lamartine, paraît-il. Précisons que le vers, généralement énoncé dans une version tronquée, mérite d’être restitué dans sa totalité: « Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? »
Il n’est pas certain que Christine Montalbetti ait eu à l’esprit ces mots du poète en concevant La Conférence des objets, pièce de théâtre finement écrite et mise en scène qu’elle présente en ce moment à la Comédie-Française. Impossible pourtant pendant qu’on assiste à ce joli spectacle de ne pas y entendre une réponse à la question posée par Lamartine.
Interprété avec une délicate dose d’humour par les acteurs Claude Mathieu, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Pierre-Louis Calixte et Anna Cervinka, la pièce se déroule dans l’intimité secrète d’un appartement dont la propriétaire s’est absentée. Il y a là, entre autres objets, une boîte à couture, un pèle-pomme, un œil-de-tigre, un parapluie et une lampe. Rien de plus normal à cela près que, dans le clair-obscur, on entend prononcer des mots quelque peu étranges.
Dialogue édifiant
« Alors voilà. Je vais parler« , dit le pèle-pomme par la bouche d’Hervé Pierre. À ceux qui considèrent que les objets n’ont pas forme humaine, on répondra que ce que nous montre ici Christine Montalbetti ce n’est pas seulement leur aspect extérieur, mais leur âme que nos yeux humains ne peuvent évidemment pas voir en temps normal. Il y a là d’ailleurs un paradoxe amusant: car si ces objets parlent, c’est justement parce que personne ne les voit, ni ne les entend.
Le spectateur devient donc, en l’occurrence, un voyeur censé assister à ce dialogue édifiant entre des objets à leur insu. Être le témoin de pareils conciliabules ne manque pas d’ironie dans ces temps de robotisation galopante où nous sommes de plus en plus confrontés à des objets qui parlent et réagissent à nos gestes, comme si tout conspirait à rapprocher notre quotidien d’un univers à la Philip K. Dick.
Cependant, alors que des ingénieurs travaillent sur des robots androïdes imitant l’homme à la perfection, les objets vivants de Christine Montalbetti nous renvoient une tout autre image de nous-mêmes dans la mesure où le souffle qui les anime c’est en quelque sorte nous qui le leur insufflons. Ils sont issus de nos rêveries, de l’imaginaire de l’enfance, ils appartiennent à l’univers du conte, on les a déjà rencontrés chez Andersen ou chez Kafka.
Ce qu’il y a sans doute de plus attachant en eux, c’est qu’ils ont des humeurs, des émotions, des états d’âme. Ils savent ce qu’est le désir et aussi la mélancolie. Ils ont une histoire. Ils ont même une vie. Mais le plus étonnant, peut-être, c’est qu’ils sont doués d’imagination. Ce qui les amène à se projeter au-delà d’eux-mêmes, à ne pas vouloir demeurer dans leur état.
Ainsi le parapluie (Pierre-Louis Calixte) se rêve en cerf-volant, par exemple. La boîte à couture (Claude Mathieu) en boîte de peinture. L’œil-de-tigre, une amulette africaine (Bakary Sangré), voudrait devenir une grosse pierre comme celle qui se situait à l’entrée de son village. C’est là que se révèle ce qui est peut-être un des secrets de la réussite de ce spectacle, l’identification, voire l’empathie des acteurs avec l’objet qu’ils représentent.
Yokaï
Il y a à cela une explication toute simple qui est qu’avant d’écrire son texte, Christine Montalbetti leur a demandé de choisir plusieurs objets dans lesquels ils souhaitaient s’incarner. Donc parlant au nom de leur objet, c’est un peu en leur nom propre qu’ils s’expriment. Mais il y a aussi un autre aspect qui joue un rôle important dans ce spectacle. Aspect qui renvoie à cet état singulier où cédant à une sorte de flottement, l’imagination transfigure l’environnement immédiat au point de donner à la moindre chose présente, un vieux fauteuil, une théière au bec ébréché, un abat-jour de guingois des sentiments humains.
Christine Montalbetti en est bien consciente qui, par exemple, écrit dans son roman Trouville Casino: « Dans la solitude de la maison (…) il te semblait que les meubles mâchonnaient de petites pensées qui n’étaient pas toutes gentilles à ton endroit« . C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce spectacle où se laisse deviner derrière ces petites pensées « mâchonnées« , une autre dimension, empruntée cette fois à la culture japonaise, selon laquelle on considère qu’avec le temps certains objets se métamorphosent pour devenir des yokaï; autrement dit des êtres dotés d’une vie mystérieuse, des esprits en quelque sorte.
On se demande alors si le charme singulier qui émane de cette création à la fois sensible et remarquablement équilibrée de Christine Montalbetti ne vient pas de ce que, l’air de rien, elle réalise un tour de force relevant quasi de l’impossible: mettre en scène des yokaï.
La Conférence des objets, de et par Christine Montalbetti
avec Pierre-Louis Calixte, Anna Cervinka, Claude Mathieu, Hervé Pierre, Bakary Sangaré
jusqu’au 5 janvier à La Comédie-Française
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