« The Scarlet Letter », le puritanisme mis à nu par Angélica Liddell

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Loin de transposer à la scène le chef d’œuvre de Nathaniel Hawthorne, la dramaturge et comédienne en restitue l’esprit dans une performance sidérante. Avec une verve provocatrice d’une rare intensité, elle investi le personnage d’Hester Prynne, l’héroïne du roman, d’un mélange explosif de tendresse et de fureur faisant de cette création un sulfureux chant d’amour.

Couleur dominante: le rouge. Rouge des tentures, rouge (et noir) des costumes et rouge, bien sûr, comme cette lettre écarlate, ce A qui donne son titre au spectacle librement inspiré du roman de Nathaniel  Hawthorne The Scarlet Letter. Est-il nécessaire de rappeler que le rouge, couleur du sang, est aussi celle de la honte  et, surtout, de la colère? Car, une fois encore, Angélica Liddell ne ménage pas sa rage dans ce cérémonial d’une rare intensité où les symboles religieux sont détournés et orientés dans un sens sexuel.
« C’est une histoire brûlée du feu d’enfer « , s’exclamait Hawthorne à propos de son roman comme s’il était le premier surpris d’avoir écrit un tel livre. Quand elle aborde un grand texte de la littérature comme ce fut déjà le cas avec Le viol de Lucrèce de Shakespeare, dont ce spectacle est un peu le pendant, Angélica Liddell en offre toujours une lecture éminemment personnelle basée sur ses propres réactions. À chaque fois, elle s’empare littéralement du texte pour le faire sien en l’investissant de sa sensibilité poétique à haute teneur émotive – sensibilité qui passe autant par les mots que par le corps; les deux étant forcément indissociables dans ce sulfureux théâtre de la cruauté.

Adultère

D’Hester Prynne, l’héroïne du roman, elle fait une figure emblématique, un personnage infusé par sa propre colère. Plutôt que d’adapter à la scène récit initial, elle le traite comme une référence – un peu comme on se réfère à la Bible ou à la mythologie – concevant un spectacle qui serait à la fois un exercice d’admiration, un commentaire de l’œuvre d’Hawthorne, et une exploration passionnée des problématiques qui la sous-tendent.
À commencer, bien sûr, par la question du puritanisme, thème majeur du roman qui se déroule en Nouvelle-Angleterre à Salem au XVIIème siècle. Fondée par des pèlerins récemment débarqués sur le sol américain, la ville, considérée comme la capitale du puritanisme, vit à l’époque directement sous l’œil omniscient d’un Dieu impitoyable, dans une obéissance fanatique aux préceptes bibliques. L’obsession du péché y est telle que le moindre faux-pas est susceptible d’entraîner la mort ou le pilori. L’adultère, en particulier, y est passible de mort.
Or c’est précisément ce que risque Hester Prynne coupable d’avoir eu des rapports sexuels avec un homme qui n’est pas son mari. Seul le fait que son amant soit inconnu empêche qu’elle soit tuée. Au lieu du châtiment suprême, elle doit porter, brodée sur sa poitrine, la lettre A, qui signifie « adultère » exposant ce qui est censé être sa honte au reste de la population.
Les femmes l’insultent, les enfants se moquent d’elle, les prêtres condamnent sa conduite dans leurs sermons. Après avoir été emprisonnée, elle est chassée de la ville, contrainte de vivre seule dans une cabane en bordure de la mer.

 Audaces

Le spectacle s’ouvre par une procession religieuse où l’on ne peut s’empêcher de voir dans les chapeaux pointus des officiants aux visages masqués un symbole phallique. Un personnage tranche sur cet ensemble parfait. C’est un prêtre entièrement vêtu de rouge dont le visage dissimulé par un voile rappelle le récit d’Hawthorne Le voile noir du pasteur. Un écho parfaitement justifié puisque l’homme en question est l’amant dont Hester refusera jusqu’au bout de révéler le nom. Or cet homme, qui pendant sept ans gardera le silence sur sa relation avec Hester, c’est le révérend Dimmesdale, le pasteur de la paroisse. Face à son époux, à l’enfant qu’elle a eu du pasteur, aux autorités religieuses et à la foule haineuse, la jeune femme maintient son secret.
Pour Angélica Liddell, cette héroïne mise au banc de la société, mais grandie par l’opprobre et l’humiliation est une inspiration puissante. L’empathie pour les personnages – aussi paradoxale soit-elle s’agissant de héros de fiction –, la complexité de la relation amoureuse entre Hester et Dimmesdale avec toutes les ambiguïtés – et le masochisme – qui l’accompagnent, constituent pour la dramaturge un foyer fécond où alimenter son imaginaire; au point d’investir les héros du roman de ses propres préoccupations jusqu’à en faire autant des personnages d’Angélica Liddell que de Hawthorne.
En un retournement à la fois dramatique et comique, elle invente un cérémonial follement décalé. Très vite les officiants sont déshabillés. Le puritanisme mis à nu. Le corps masculin glorifié en une série de transmutations sexuellement explicites dont on imagine qu’elles eussent fait frémir Hawthorne. Devenue sous les traits d’Hester la prêtresse d’un culte voué à une sexualité fortement ritualisée, Angélica Liddell ose même une version fellatrice de la communion.

Antonin Artaud

Au silence de l’héroïne face à la foule et en particulier aux mégères qui l’insultent, elle substitue une harangue hérissée d’imprécations contre ces dernières dont l’excès va évidemment bien au-delà des enjeux du roman.
Il y a dans sa fureur une sauvagerie telle qu’on pense forcément à Antonin Artaud. Rien d’étonnant du coup si le visage de l’auteur du Pèse-nerfs apparaît bientôt sur un écran. En gros plan, on distingue le regard intense du poète dont les traits n’ont pas encore été déformés par les électrochocs. Il y a dans la beauté de ce visage exposé en plein air un rayonnement d’autant plus puissant qu’il est comme l’antithèse de cet autre visage dissimulé sous un voile.
Ce qui n’empêche pas Angélica Liddell d’imaginer des retrouvailles dans l’au-delà entre Dimmesdale et Hester. Montrant-là une capacité sans limites à fouiller et broder à sa guise, unissant son imagination à celle du romancier et faisant de cette lettre A non plus une marque de la honte mais au contraire un joyau qu’elle décline en une série d’initiales: de A comme « Ange » à A comme Antonin Artaud.
Cela faisait presque trois ans qu’on n’avait plus revu de création d’Angélica Liddell sur une scène française. On est d’autant plus heureux de la retrouver en ce début d’année où elle signe un des meilleurs spectacles de la rentrée.

 

The Scarlet Letter, texte et mise en scène Angélica Liddell, d’après Nathaniel Hawthorne
avec  Joele Anastasi, Tiago Costa, Julian Tsenia, Angélica Liddell, Borja Lopez, Tiago Mansilha, Daniel Matos, Eduardo Molina, Nuno Nolasco, Antonio Pauletta, Antonio L. Pedraza, Sindo Puche.

  • jusqu’au 26 janvier au Théâtre de la Colline, Paris (75)
  • 1er et 2 février au Teatro Nacional, Lisbonne (Portugal)
  • du 14 au 16 février au Teatros del Canal, Madrid (Espagne)

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