« La Maison de Bernarda Alba »: cela pourrait se passer aujourd’hui
Un vent de modernité et de féminité souffle sur la Comédie-Française grâce à Lilo Baur et sa sublime mise en scène de La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcìa Lorca. Dans l’Espagne des années 1930, suite à la mort du père, une lignée de femmes est condamnée à un deuil de huit ans. Un isolement terrible qui trouve sa résonance dans notre société et qui conduira au pire des massacres.
En choisissant ce texte et la traduction de Fabrice Melquiot, Lilo Baur rend hommage aux femmes et s’inscrit dans les préoccupations actuelles sur plusieurs plans. Un siècle plus tard, le cri de ces femmes retentit toujours dans certains pays qui les privent de leurs droits et de leurs libertés. La famille, ici la matriarche, impose sa volonté, ne se souciant guère du bonheur et des désirs de ses filles. Le libre arbitre et l’indépendance disparaissent au profit de la hiérarchie familiale et du pouvoir qui en découle. Aujourd’hui, dans certaines sociétés, naître femme apparaît comme la pire des punitions. Celle qui osera s’opposer à cette assignation devra payer le prix fort.
Un destin tragique est mis en lumière, celui d’un sexe condamné à l’obéissance et à la réclusion; mais aussi une image de la jeunesse et de la vie qui pétille, trépigne et qui, ne pouvant lutter contre son cœur, osera tous les interdits afin de s’échapper de cette prison pour être pleinement, ici, en accord avec son désir de l’autre. Une belle espérance dans un monde où perspectives d’avenir et émancipation ne mènent qu’à la perte de soi.
Cette ambivalence est illustrée à la perfection à travers la scénographie et la mise en scène contemporaines et poétiques. Toutes ces femmes sont enfermées derrière une immense façade aux airs de moucharabieh, la structure parfaite qui empêche d’être vues mais pas d’apercevoir l’extérieur, ce qui stimule la curiosité, le fantasme et la transgression. Ce dispositif présent en Andalousie, mais issu de l’architecture islamique, sert à dérober les femmes aux regards des hommes, ce qui offre à la pièce une universalité et une intemporalité indéniable. Elles jouent avec cette devanture qui les dissimule des lapidations extérieures et, quand vient la pénombre, les découvre aux fenêtres de leur chambre. Une esthétique travaillée, imagée et lyrique, renforcée par des instants de grâce insouciants et affranchis. Adela, la plus jeune et la plus effrontée, en proie à sa passion ardente, sera le symbole même de cette aspiration à la délivrance et à la rébellion. Virevoltant parmi les pétales de roses, tournoyant dans les bras de l’interdit, elle représente cette émancipation rêvée par celles qui l’entourent: un éclat étincelant empli de pulsions de vie. « Quoiqu’il arrive, le combat continue » : tel semble être le message que tend à nous délivrer la metteuse en scène.
La Maison de Bernarda Alba, de Frederico Garcìa Lorca mis en scène par Lilo Baur
Paris – Comédie-Française – jusqu’au 25 juillet 2015
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