Immigration et bande dessinée font bon ménage. Pour parler du monde, dessiner des trajets de vie, ou raconter simplement des histoires. Leurs auteurs viennent souvent d’ailleurs. Ils s’appellent René Goscinny, Enki Bilal ou Marjane Satrapi. Le Musée de l’histoire de l’immigration, Porte Dorée à Paris, consacre à ce thème une exposition intelligente et riche.
Associer, dans une exposition, BD et immigration, l’idée était bienvenue. Depuis près de 15 ans, la « nouvelle vague » de la bande dessinée sillonne la planète (Chroniques de Guy Delisle), en prend le pouls (Joe Sacco), en sonde les tensions (Quai d’Orsay), en dévoile les histoires (Muchacho), en dessine les portraits (Persepolis). La BD connaît son monde. Et pour cause, elle en est issue. Appelons-la « comics », ou « graphic novel » comme le décida Will Eisner, la BD est fille du monde car, pour partie, elle naît de l’immigration. Et ça ne date pas d’hier. C’est ce que démontrent les commissaires de l’exposition Albums, bande dessinée et immigration 1913-2013 au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris.
1913 : George McManus, né aux Etats-Unis de parents irlandais, crée la série dessinéeBringing up father, pour rire avec ses jeunes et moins jeunes lecteurs, des maladresses d’un certain Jiggs, nouveau riche et ancien maçon, lui aussi venu des contrées pauvres irlandaises, et incapable de s’intégrer dans la bonne société américaine… 1940 : apparaît, masquée et chapeautée, la silhouette du Spirit, anti-héros avant la lettre du New-York malfamé, né des traits de Will Eisner, fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est. 1959 : un Français d’origine ukraino-polonaise, ayant grandi en Argentine et vécu un temps à New-York, un certain René Goscinny, s’associe avec le « rital » Dino Attanasio pour créer le personnage Spaghetti. Peu après, sous le crayon d’un autre fils d’immigrés italiens, Uderzo, naîtraAstérix, aujourd’hui patrimoine français s’il en est un, à la gloire de nos ancêtres, les…
McManus, Eisner, Goscinny. Ce sont les précurseurs. Cinéma du pauvre, la BD se prête parfaitement aux ambitions des auteurs qui veulent, avec leurs nouveaux personnages, distraire et faire rire : caricature des silhouettes, tics gestuels et langagiers. Mais l’essentiel est là. Scénaristes et dessinateurs parlent de ce qu’ils connaissent. L’immigration devient, sinon un thème, du moins une présence récurrente, qui ne cesse de s’accentuer. Autres temps, autres codes. Aux funnies succèdent genre animalier, western, science fiction, récits historiques, auto-biographies et même, beaucoup plus récemment, BD reportages. Chaque génération apporte ses nouveautés : celle des auteurs nés dans les années 1950, une lecture plus sociologique (ne ratez pas les quelques cases montrant la condition de l’ouvrier immigré par Baru) ou politique, comme avec Farid Boudjellal (et sa famille Slimani) qui, évoquant le quotidien des beurs, dénonce difficultés et racisme. La dernière génération rime avec mondialisation. La « planète nomade » est décrite avec ses contradictions par Marjane Satrapi (Persépolis, récit de son itinéraire personnel, de Téhéran à Paris), ou par Clément Baloup, petit-fils d’immigrés indochinois, qui aborde les situations de métissage. Cyril Pedrosa, lui, imagine un voyage à rebours, cherchant à percer son Portugal d’origine. Et Aya de Youpougon, histoire dessinée par Clément Oubrerie et écrite par l’ivoirienne Marguerite Abouet, est, dit-on, l’une des BD les plus lues d’Afrique de l’Ouest… La boucle est bouclée.
Planches originales, dessins inédits, esquisses préparatoires, films d’animations, témoignages vidéo… A défaut d’une scénographie alléchante, les sources sont riches pour suivre un parcours chronologique et thématique. La figure du migrant a évolué au fil du temps (celle de l’homme seul, ouvrier immigré, laisse la place à l’image familiale, aux figures féminines et à ceux de la deuxième génération) et l’exposition montre ces représentations. Elle retrace aussi les phases migratoires, du départ à l’éventuel retour : voyage, arrivée sur place, installation, intégration… Très rigoureuse, l’expo devient parfois trop analytique et le visiteur finit par se perdre. Qu’à cela ne tienne. Vous ne pourrez pas tout avaler, picorez donc. L’enjeu est beau. Et le pari gagné si ces jeunes adultes à qui s’adresse (notamment) la bande dessinée et que l’on croise par classes entières, dans l’exposition, portent un regard autre sur les drames que l’actualité déverse, à Lampedusa ou à Ceuta-Melilla…
. Exposition Albums, bande dessinée et immigration 1913-2013 au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris, jusqu’au 27 avril 2014.
. Et aussi une autre exposition, entièrement consacrée à Astérix à la Bibliothèque nationale, jusqu’au 19 janvier 2014.
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