Alour, Hersch, Lema, Nardin, Pourquery: Jazz in Marciac, côté « Astrada »

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Dans quelques heures, les clameurs se seront tues à Marciac. Toutes? Pas à l’Astrada, l’autre lieu du festival qui célèbre le jazz toute l’année.

Jazz in Marciac c’est d’abord un gigantesque chapiteau, 6000 places pour une scène qui accueille chaque année des stars parmi les plus prestigieuses du monde de la note bleue. Chick Corea, Pat Metheny, Brad Mehldau, Melody Gardot ou Erik Truffaz étaient notamment à l’affiche de cette 41ème édition.
Mais JIM, comme disent les habitués, c’est aussi une salle plus modeste (500 fauteuils). Modeste par la taille, pas pour son confort et ses équipements, pas non plus pour sa programmation. L’Astrada, c’est le repos du festivalier qui, cette année encore, y aura écouté de près quelques pointures en devenir, parfois moins connues, toujours à découvrir.
Exemples…

Les allures distinguées de Sophie Alour

Il n’y pas beaucoup de femmes saxophonistes, on veut profiter de l’une des meilleures de la scène française. Ce soir, Sophie Alour présente quelques uns des titres de son 6ème album, le bien nommé Time for love consacré à quelques unes des ballades qui lui ont fait aimer le jazz. Gershwin, Cole Porter, Billie Holliday, et… Charles Trenet (I Wish You Love / Que reste-t-il de nos amours?).
Elle semble d’abord impressionnée (comme beaucoup d’autres) d’être à l’affiche de l’un des plus importants festivals de jazz européens mais une composition de Wayne Shorter la libère. La voici, toute en sensibilité et nuances, sans artifices gestuels, dans un sensuel corps à corps avec son sax ténor. On entend l’influence de l’un de ses maîtres, Stan Getz, peut-être aussi le souffle rauque et volontaire d’un Archie Shepp.
Un moment de grâce, pas seulement parce qu’elle est femme.
A ses côtés, le pianiste Alain Jean-Marie, dont on sait qu’il est bien plus qu’un sideman: sa discrétion épurée construit les délicats écrins des belles allures de Sophie Alour.
La soirée se poursuit avec le trio de l’américain Fred Hersch, impressionnant et impressionniste pianiste, disciple de Bill Evans. Flanqué d’un contrebassiste et d’un batteur (les mêmes depuis 9 ans: ça se voit et ça s’entend), il enchaîne  ses compositions et des reprises très personnelles de standards (troublante visite de For No One des Beatles, par exemple). On ne se lasse pas de ses subtilités harmoniques.

Sur les routes de Ray Lema

Toujours curieux de ses chemins de traverse, cet autre soir, on était venu prendre des nouvelles de Ray Lema. Ce pianiste, compositeur et chanteur de 72 ans d’origine congolaise a depuis longtemps quitté son pays pour explorer toutes les planètes musicales et en faire des synthèses bien à lui. Dans les années 80, il fut l’un des rois de la world music mais il ne se contentera pas d’un genre finalement très commercial qui n’étanche pas sa soif de découvertes musicales tous azimuts. Il met à son programme les Pygmées, les gnaouas, et mêmes les voix bulgares…
Ray Lema est en fait un déraciné joyeusement éclectique. S’il entame son set avec une chanson en bambara, il poursuit immédiatement avec un hommage à Jean-Sébastien Bach. Et puisqu’il a également fréquenté les chaloupages brésiliens, il célèbrera aussi Antonio Carlos Jobim. Sur le côté de la scène, installé devant son immense piano, il dirige discrètement, un peu comme un papa transmetteur, un quintet formé de musiciens plus jeunes, notamment un formidable bassiste, le martiniquais Michel Alibo qui n’a pas grand chose à envier à Marcus Miller, lui aussi présent cette année à Marciac.
Pour une seconde partie, l’africain planétaire cède le clavier à Fred Nardin. On connaît moins ce jeune surdoué du piano. Les jaloux de sa virtuosité parleront d’un premier de la classe, ce qui n’a sans doute pas été faux lorsqu’il fit ses classes au Conservatoire. S’il a joué aux côtés de beaucoup de jolis noms, la richesse foisonnante de son jeu excelle dans le régal reposant d’un trio, le sien: Or Bareket à la contrebasse et l’américain Leon Parker, inoxydable métronome magnifiant sa batterie pourtant dépouillée de presque tout. Tous trois offrent une leçon de swing à l’os.
Invité sur quelques morceaux, l’italien Fabrizio Bosso, un écorché vif de la trompette, viendra y imprimer ses chorus bouleversants.

 

Pour le meilleur et Pourquery

Il faut voir Thomas Pourquery sur scène pour en apprécier toute la puissance, son extravagance et… son humour.
Voilà un doux énergumène couvert de récompenses diverses qui balaie les frontières et les conventions. C’est presque devenu un cliché de dire qu’il est inclassifiable, mais c’est bel et bien une découverte que d’assister à son show (il n’y a pas d’autre mot) entouré des membres de son sextet Supersonic. Tous barrés ses musiciens? Peut-être un peu mais d’abord des musiciens, d’excellents musiciens.

En fond de scène, Edward Perraud un fou (au sens propre?) de la batterie, acrobate et clown des baguettes; un peu caché derrière son piano, Arnaud Rollin parfois secondé au synthé par Laurent Bardainne, d’abord as de pique du sax ténor. A la guitare basse, demandez Frederick Gallais, tricotant fougueusement ses 4 cordes. A peine plus discret, en tout cas très british en costard (mais sans cravate) Fabrice Martinez, trompette ou bugle comme il vous plaira. Le tout emmené par un Pourquery au crâne rasé et à la barbe fleurie désormais légendaires, son petit sax au bec rouge, à l’occasion sa voix haut perchée toute en reverb vintage.
Si l’on rigole bien, on est d’abord estomaqué par la précision de l’ensemble. Pop? rock? Jazz? Tout à la fois. On pense au Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, aux Mothers of Invention de Zappa et leur humour musical potache mais virtuose et bien sûr à Sun Ra, autre excentrique inclassable et évidemment référence de Pourquery qui lui a consacré un album.
Tant d’exubérance mériterait largement la grande scène du chapiteau: c’est un grand luxe de pouvoir en profiter dans l’intimité de L’Astrada.

Scène conventionnée pour le jazz (la seule en France), L’Astrada garde les oreilles grandes ouvertes toute l’année. « Etonnement, jubilation, culture et boissons fraîches » annonce le programme 2018/2019. Et Fanny Pagès qui vient de s’installer aux commandes du lieu ne compte pas se limiter à en construire l’affiche, elle veut en faire l’un des pricipaux carrefours culturels de la région.
Astrada veut dire destinée en Occitan. Que les astres lui soient favorables!

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