📷 Christine Spengler, enluminer la tragédie

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1930

Elle s’imaginait littéraire donc écrivaine. Elle est l’une des photographes les plus authentiques et originales.

Cette saisissante photo de l’enfer après le bombardement de la ville de Phnom Penh en 1975, fera le tour du monde. Envoyée en urgence dans les rédactions, elle n’est même pas signée de son auteure, Christine Spengler. « Pas très important…« , dit-elle aujourd’hui en la regardant encore et toujours, avec la même émotion, la même frayeur.

Je ne fais pas des photos pour gagner des prix, je fais des photos pour témoigner.

Des prix, elle en gagnera plus tard, beaucoup. Et surtout l’admiration de ceux qui verront ses images ainsi que la reconnaissance de ses pairs photographes de guerre.
Courageuse, intrépide, inconsciente diront même certains qui l’ont côtoyée en reportage.

C’est presque par hasard qu’elle se saisit d’un appareil de photo, en 1970. Elle est au Tibesti avec son frère Eric et capte une première image formidable: deux combattants qui marchent fusils en bandoulière, ils se tiennent la main.

Je l’ignorais mais je suis née pour faire ce métier.

La conviction devient une certitude, un engagement, après le suicide, en 1973, d’Eric, ce frère chéri. Elle apprend sa mort alors qu’elle est en mission au Vietnam, après avoir couvert le conflit d’Irlande du Nord. Elle en avait rapporté des images sidérantes qui, déjà, signaient sa façon si singulière, tellement humaine, de montrer la guerre, la haine, l’injustice. La suite?, le Liban, l’Iran, l’Irak, le Kosovo, tout récemment elle sillonnait la jungle de Calais, Nikon en main.
Christine Spengler est autodidacte, c’est sur le terrain qu’elle apprend le métier. Elle avait passé son enfance à Madrid, sans cesse fourrée au musée du Prado, autant dire qu’elle savait déjà presque tout de la composition et du cadrage d’une image. En revisitant les 40 années de son travail, on comprend sa vénération pour les peintres espanols, Goya ou Picasso, par exemple,  qu’elle cite volontiers.

Couleur-thérapie

Maria Callas (2015) – Autoportrait, Ibiza (2010)

A la fin des années 80, Christine Spengler réenvisage la couleur qu’elle avait oubliée sur les champs de bataille et dans le deuil, celle des lumières de l’Espagne, de la Movida et des corridas. Elle qui avait témoigné de l’horreur de la guerre s’évade vers des compositions qui n’ont plus rien à voir avec le réel. Elle a de qui tenir, c’est la fille de Huguette Spengler, l’une des dernières surréalistes. De ces images baroques, hétéroclites, jouant du kitsch fantasque, il ne faut pas s’étonner. La baroudeuse est aussi une artiste raffinée. La série de photomontages qu’elle entame sera ici un exorcisme des images terribles qui la hante et qu’elle va enluminer, là un hommage à ses proches disparus à qui elle adresse des ex-voto réjouissants. Ou encore des salutations à ses « idoles« , notamment Maria Callas, Frida Khalo, Marguerite Duras. Mention spéciale pour les auto-portraits de… ses pieds. Christine Spengler est une drôle de personne et une personne drôle.
La double exposition que lui consacre La Maison Européenne de la Photo témoigne justement de la richesse d’une artiste double mais entière.

Un livre à l’occasion de l’exposition – MEP/Cherche Midi

L’opéra du monde – Christine Spengler

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