Le poète Salah Stétié (1929-2020) : « Je suis passé de la BD au théâtre, de Bicot* à Beckett! »
L’enfance du poète Salah Stétié, né dans une famille musulmane sunnite, fut sans images. La peinture lui fut nécessité et découverte. Rimbaud, Claudel, ou Valéry furent notamment ses compagnons de lectures comme Alechinsky et Tapiès le furent pour le pinceau. C’est à Beyrouth, dans les BD qu’il avait appris le français.
* Bande dessinée humoristique créée par l’Américain Martin Branner diffusée de 1920 à 1996.
Des mots de minuit, l’émission #482 du 13 février 2013. Au côté de Salah Stétié, Enki Bilal et Elisabeth Mazev.
Salah Stétié, poète, essayiste, auteur d’aphorismes, diplomate à l’occasion, avait croisé André Gide à 17 ans. Celui-ci avait salué son intelligence. « Mais ça n’était pas allé au delà ! » dit l’écrivain facétieux.
Il choisit d’écrire en français alors que son père était lui professeur et poète de langue arabe. Il situait son expression au croisement des cultures autour d’une Méditerranée évidemment plurielle. Dans ce numéro Des mots de minuit, il évoque son enfance, sa curiosité de la peinture et notamment l’exposition (doublée à la BNF) « Salah Stétié et les peintres » que lui consacrait le musée Paul Valéry de Sète. Parmi eux : Alechinsky, Kijno, Tapiès, Zao Wou-Ki, Jan Voss, Viallat, Woda …
Côté littérature, on lui connaît une belle proximité avec Pierre Jean Jouve, Henri Michaux, René Char ou Yves Bonnefoy.
« Le lecteur est la chambre d’écho de ma poésie » S. S. (février 2013)
La paix, je la demande à ceux qui peuvent la donner
Paix. Salah Stétié.
Comme si elle était leur propriété, leur chose
Elle qui n’est pas colombe, qui n’est pas tourterelle à nous ravir,
Mais simple objet du cœur régulier,
Mots partagés et partageables entre les hommes
Pour dire la faim, la soif, le pain, la poésie
La pluie dans le regard de ceux qui s’aiment
La haine. La haine.
Ceux qui sont les maîtres de la paix sont aussi
les maîtres de la haine
Petits seigneurs, grands seigneurs, grandes haines toujours.
L’acier est là qui est le métal gris-bleu
L’acier dont on fait mieux que ces compotes
Qu’on mange au petit déjeuner
Avec du beurre et des croissants
Les maîtres de la guerre et de la paix
Habitent au-dessus des nuages dans des himalayas,
des tours bancaires
Quelquefois ils nous voient, mais le plus souvent
c’est leur haine qui regarde :
Elle a les lunettes noires que l’on sait
Que veulent-ils ? Laisser leur nom dans l’histoire
À côté des Alexandre, des Cyrus, des Napoléon,
Hitler ne leur est pas étranger quoi qu’ils en disent :
Après tout, les hommes c’est fait pour mourir
Ou, à défaut, pour qu’on les tue
Eux, à leur façon, qui est la bonne, sont les serviteurs d’un ordre
Le désordre, c’est l’affaire des chiens – les hommes, c’est civilisé
Alors à coups de bottes, à coups de canons et de bombes,
Remettons l’ordre partout où la vie
A failli, à coups de marguerites, le détraquer
À coups de marguerites et de doigts enlacés, de saveur de lumière,
Ce long silence qui s’installe sur les choses, sur chaque objet,
sur la peau heureuse des lèvres,
Quand tout semble couler de source comme rivière
Dans un monde qui n’est pas bloqué, qui est même un peu ivre,
qui va et vient, et qui respire…
Ô monde… Avec la beauté de tes mers,
Tes latitudes, tes longitudes, tes continents
Tes hommes noirs, tes hommes blancs, tes hommes rouges,
tes hommes jaunes, tes hommes bleus
Et la splendeur vivace de tes femmes pleines d’yeux et de seins,
d’ombres délicieuses et de jambes
Ô monde, avec tant de neige à tes sommets et tant de fruits
dans tes vallées et dans tes plaines
Tant de blé, tant de riz précieux, si seulement on voulait
laisser faire Gaïa la généreuse
Tant d’enfants, tant d’enfants et, pour des millions
d’entre eux, tant de mouches
Ô monde, si tu voulais seulement épouiller le crâne chauve
de ces pouilleux, ces dépouilleurs
Et leur glisser à l’oreille, comme dictée de libellule,
un peu de ta si vieille sagesse
La paix, je la demande à tous ceux qui peuvent la donner
Ils ne sont pas nombreux après tout, les hommes
violents et froids
Malgré les apparences, peut-être même ont-ils encore
des souvenirs d’enfance, une mère aimée,
un très vieux disque qu’ils ont écouté jadis
longtemps, longtemps
Oh, que tous ces moments de mémoire viennent à eux
avec un bouquet de violettes !
Ils se rappelleront alors les matinées de la rosée
L’odeur de l’eau et les fumées de l’aube sur la lune.
Des mots de minuit #482 :
Réalisation : Anthony Mutti
Rédaction en chef : Rémy Roche
Journalistes : Sophie Joubert Nathalie Mantovani, Lorenzo Ciavarini-Azzi
Production : Thérèse Lombard et Philippe Lefait
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