Marc Graciano l’écrivain 📚 et Jerôme Deya 📷 le photographe #521
Desmotsdeminuit est ici au coeur de son propos. Entendre la culture dans sa dimension anthropologique. Qu’il s’agisse de parler de la sexualité que la société a du mal à concevoir chez tous ou de découvrir deux romans signés -merci José Corti- par un infirmier de service psychiatrique qui font de son auteur un conteur remarquable, amoureux du mot et de la nature…
J’ai rencontré le photographe Jerôme Deya. Il présentait son travail à l’occasion du festival HandiVersHorizons en mai 2015 à Verquières, près d’Avignon. Une manifestation qui est l’aboutissement des combats d’Alain Comoli -quarante pays parcourus en fauteuil- pour faire voyager comme n’importe qui les personnes en situation de handicap. Encore récemment à Cuba. Inutile ici d’insister sur les montagnes à déplacer pour que tout soit finalement possible sur ces chemins singuliers.
Dans une société de la norme et de la classification unifiantes et totalitaires qui reste souvent aveugle à la différence, évoquer la sexualité des personnes handicapées est une autre gageure. Jerôme Deya s’y est essayé depuis plusieurs années avec un objectif : la considération de l’autre. On le verra. Le social est depuis ses débuts son objet, en France comme à l’étranger.
Marc Graciano.
Au nom de ce à quoi j’appartiens.
Découvrir un auteur de cette puissance au hasard de quatre lignes d’une gazette reste un pur plaisir de lecteur. J’avais raté son premier roman, « Liberté dans la montagne » paru chez José Corti en 2013. C’est avec « Une forêt profonde et bleue » que j’ai entamé Marc Graciano dont une quatrième de couverture dit qu’il est né le 14 février 1966 et qu’il vit au pied des montagnes, aux confins de l’Ain et du Jura. Un lieu-frontière qui le situe déjà au contact d’une nature qu’il respecte infiniment, qu’il décrit remarquablement, avec laquelle sa littérature fait corps. Ajoutons quelques éléments de contexte. Il observe précisemment l’environnement et pêche à la mouche. Son métier : infirmier en hôpital psychiatrique où il s’occupe d’adolescents. Il a commencé à écrire après 40 ans, quand les mots ne l’ont plus effrayé. Quand il a eu fini d’épuiser le Littré. Et voilà bien l’un des caractères de l’œuvre en devenir : une infinie richesse de vocabulaire (un muid de vin, un brassin de bière, un regard omineux, les dosses de la cabane) qui m’a fait cerner deux mots par page en moyenne et m’a ramené aux plaisirs d’enfance quand il s’agissait d’explorer le dictionnaire en quête du mot rare. Mais la plume est certaine car cette profusion n’altère jamais la simplicité ou la scansion d’un récit envoûtant et mosaïque.
« L’homme qui avait trouvé la plume ensipenne et qui en tenait doucement la base entre ses doigts et qui faisait tourner la plume lentement pour l’examiner, après l’avoir longuement observée et caressée et avoir recueilli au-dedans de lui les sensations que sa vision et son toucher lui procuraient et examiné intérieurement le sentiment qu’il éprouvait à sa possession, grimaça un large sourire maladroit qui fit éclater ses dents de blancheur dans son visage bronzé et il tendit brusquement la plume à la fille, en guise d’offrande, et la fille prit délicatement la plume et … « Et de ne pouvoir aller jusqu’au point car dans « Une forêt profonde » , chaque phrase est chapitre, autre caractéristique de cette écriture qui joue de cette contrainte quasi oulipienne qui enchâssent les « et », les « puis » ou les « comme » dans une litanie qui rend son lecteur captif et admiratif de ce tour de force littéraire et formel.
A ces étrangetés radicales de vocabulaire et de construction, Marc Graciano ajoute une substance de récit qui essentialise la simplicité des êtres et des choses à une époque qui n’est pas véritablement définie mais qui nous ramènerait au sortir du moyen-âge ou à Game of Thrones pour l’état de la société ou l’atmosphère et plus sûrement à un tableau de Breughel pour la précision du détail.
« Il lui dit qu’ils possédaient le ciel et il lui dit qu’ils possédaient la forêt et il lui dit qu’ils possédaient l’enchantement chaque jour renouvelé du chemin que tous deux suivaient. » Et le chemin qu’empruntent « le vieux » et « la petite » (sans autre forme de précision) dans leur « Liberté sur la montagne » confrontés aux éléments et aux hommes, à leur violence ou à leur partage est celui du consentement au monde. Comme celui que parcourt « la fille » (toujours sans autre forme de précision) dans « Une forêt profonde ». S’il fallait retenir une scène de ce « réel » auquel nous confronte et dans lequel nous inclut l’auteur : soignée après un combat perdu par « le mège » qui lui dessine un bestiaire sur le corps, « la fille » voit ses chairs s’animer et se transformer. « … puis la belette partit du corps de la fille dans un déplacement tellement rapide que le mège et la fille ne le virent pas puis le belette véloce traça un trait roux dans l’espace de la borde et elle disparut dans la nuit par le seuil de la porte puis l’autre biceps de la fille fut animé de contractions et une chouette se retrouva perchée sur le bras de la fille et la chouette se laissa descendre à pas prudents sur le bras de la fille… » Suivent une dizaine de pages d’anthologie que ne saura jamais rendre une caméra haute définition.
Et il y a du conte, et il y a du mythe, et il y a un soin immense à l’ordonnancement des mots dans cette histoire universelle que poursuit Marc Graciano. Loin de l’immédiateté contemporaine, aux confins de l’Ain et du Jura, il écrit pour dire : « Au nom de ce à quoi j’appartiens! » comme certains indiens d’Amérique éblouis par l’immensité de leur voûte céleste. La nôtre!
Il n’est pas inutile de donner ici quelques entrées du dictionnaire que nous offre Marc Graciano
Accouèrent : troisième personne du pluriel du passé simple du verbe accouer
Attacher des chevaux ensemble, de manière que le licou (harnais de tête) de celui qui suit soit lié à la queue de celui qui précède, de la sorte ces animaux marchent en file.
» Ils accouèrent les chevaux en cercle «
Aiglure : nom féminin
Terme de fauconnerie. Il se dit des taches rousses dont le plumage des oiseaux est parsemé.
Bringé : adjectif
Se dit d’un animal qui a une bande de poils noirs traversant une robe de tonalité générale rouge.
» Un chien voyageait avec eux […] sa robe était grise avec le dos bringé de noir et des taches de feu coloraient ses joues «
Broigne : nom féminin
Une défense corporelle protégeant le thorax. « Ils portaient une broigne de cuir clouté par-dessus la chemise. »
Busaigles : nom masculin
Buse pattue.
« La plume semblait plutôt la rémige d’un de ces busaigles que la fille et ses leudes rencontraient régulièrement. »
Cervelière : nom féminin
(Anciennement) Sorte de casque ouvert.
Coup porté de taille/coup porté d’estoc :
L’estoc et la taille sont des termes anciens désignant un coup porté respectivement par la pointe et par le tranchant de l’arme.
Cuirie : nom féminin
Ancien nom de la cuirasse
« Il étendirent leur cuirie cloutée »
Décocher : verbe transitif
Donner un coup avec force et d’une manière soudaine
» La fille portait une pièce de cuir sur l’avant-bras gauche pour se protéger des coups de corde lors de défectueuses décoches »
Dépilée : participe passé féminin singulier du verbe dépiler
Dépiler : Dégarnir du poil
» La peau de la cicatrice était dépilée «
Empaumure : nom féminin
Synonyme d’empaume : partie du gant qui couvre la paume de la main. « Le gant de possédait point d’empaumure. »
Ensipenne : adj.
Terme de zoologie. Qui a les pennes des ailes en forme de sabre.
Evanide : adj.
Terme de paléographie. Qui est presque effacé.Le palimpseste ambrosien est dans le plus triste état ; il est mutilé, d’une écriture souvent évanide.
Féral : adj.
Se dit d’une espèce domestique retournée à l’état sauvage.
» Un cheval féral «
Fibule : nom féminin
Epingle de sûreté ou fermoir de métal (bronze, fer, métal précieux) qui servait à agrafer les vêtements
» Les deux pans du devant de la cape étaient maintenant réunis par une fibule «
Fluait : du verbe Fluer
Couler, s’écouler, se répandre.
» La rivière fluait «
Grivelé : adj.
Tigré de couleurs grise et blanche.
« »Des oiseaux au plumage brun avec le ventre blanc et givelé de brun. »
Guiche : nom féminin
Mèche de cheveux plaquée sur la tempe ou sur le front. « …grâce à une rotation sur la guiche, il faisait revenir devant lui… »
Leude : nom masculin
Homme riche et puissant, lié par serment au roi.
» La fille et ses leude chevauchaient depuis deux jours «
Marcassite : nom féminin
Minéral composé de sulfure de fer, très courant dans la nature.
« Il sortit une pelote d’amadou du sachet ainsi qu’une pierre à feu en marcassite. »
Rectrice : nom féminin
Plume de la queue des oiseaux portée par le croupion et jouant le rôle de gouvernail et de plan de soutien dans le vol
» Les empennages des flèches étaient tous issus des plumes d’un aigle mais les motifs en étaient différents selon qu’ils étaient ceux de rémiges ou de rectrices «
Rémige : nom féminin
Les grandes plumes ou pennes des ailes des oiseaux. Elles sont dirigées vers l’extérieur et l’arrière de l’aile, se recouvrant pour former un plan presque continu.
« C’était une rémige au vu de sa forme en lame. »
Ressuyer (se) : v. pron.
Enlever l’humidité et rendre sec.
» Le soleil était revenu dans un ciel vide de nuages et le monde autour d’eux commença à se ressuyer. »
Scramasaxe : nom masculin
Un coutelas semi-long à un tranchant long sur un côté de la lame, l’autre côté n’étant affuté qu’à son extrémité. « L’autre main restait libre pour dégainer le sacramasaxe. »
Séteux, euse : adj.
Terme de botanique. Qui est composé de poils raides.
Sole : nom féminin
Étendue de terre labourable destinée à une certaine culture pendant une période donnée de la rotation.
« Même si les graviers et les galets agaçaient fortement les soles des chevaux… »
Sommitale : adj.
Relatif au somment de quelque chose.
» Une maigre pelouse sommitale «
Torque : nom masculin
Collier rigide en métal (bronze ou or), près du cou
» La fille portait un torque de bronze «
Turbide : adj. m/f
Trouble, non limpide.
» La chute cessait d’être turbide. »
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