#547: Pierre Adrian (« Des âmes simples ») et Oscar Lalo (« Les contes défaits »)
Que le lecteur athée assiste à sa plus belle messe de Noël, qu’il entende plus largement une humanité qui se cherche et se fait et là est la preuve d’une tendresse de regard et de qualité de donné à voir qui forcent le respect littéraire. Comme ce premier roman d’un juriste, chanteur à ses heures, dans lequel se dit à bas bruit mais irrémédiablement la destruction d’une enfance et d’un grandir
Pierre Adrian a aujourdhui 25 ans. Il est d’abord aller chercher du côté de « La piste Pasolini », dans le Frioul ou à Rome pour répondre aux interrogations existentielles de cette vingtaine d’années dont le philosophe Paul Nizan disait dans « Aden, Arabie » qu’il n’était pas « le plus bel âge de la vie ». Il en fut primé par saint Germain et l’Académie française.
Dans l’obscurité, en marge, je pars chercher la liberté. Je remarque combien nous sommes de plus en plus à chercher le scandale, enfermés dans notre solitude comme des malades
écrit-il à l’occasion d’un fête romaine et techno. Avec son nouveau livre, il continue à chercher un chemin de soi…
Voici donc « Des âmes simples », à l’exact inverse des écartèlements du poète italien quoique de foi et condition humaine il soit ici encore question dans le monastère Notre-Dame de Sarrance, au fond de la vallée d’Aspe. Il est là, sur l’un des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, question de solidarité, de fraternité, d’accueil de laissés pour compte ou d’êtres en marge de l’immédiateté et du libéralisme.
C’est un autre Pierre qui fait la curiosité de l’auteur. Il est frère prémontré et chargé de la cure depuis 1967, à l’écoute de ces « vies minuscules » perdus sur les routes des normes sociales ou familiales; à l’accueil de celles et ceux qui ont besoin de souffler un temps,
Pierre Adrian regarde s’écrouler certaines de ces existences, en observe d’autres qui retrouvent le temps de la reconstruction ou partent dans l’urgence d’une autre fuite. Comme dans cette entame où un père se suicide, entraînant dans sa chute vertigineuse ses deux enfants.
Papa est triste comme un clown. Tu ne le vois pas… Quelle farce d’aimer!
« À 23 ans, Pierre Adrian part pour l’Italie sur les traces d’un écrivain insaisissable et fascinant : Pier Paolo Pasolini. Du « Frioul vide et infini » aux errances dans Rome et ses « nuits sans frein », il hume, palpe cette vie à fleur de peau, à rebours de tous les clichés. Magnifique quand il provoque la société, Pasolini n’a cessé de bousculer les idées reçues. Quarante ans après son assassinat, il reste vivant au point de nous brûler. Premier détracteur des téléviseurs et de la vie quotidienne, il s’attaque à la société de consommation, loue les joies du football et de la vie pastorale, s’insurge contre la tiédeur bourgeoise, les sentiments institués, et s’acharne à tout désacraliser. Pour s’approcher davantage du sacré. Un récit de voyage au plus près de Pasolini, une enquête incarnée, mais aussi la quête d’un frère, d’un maître, d’un « meneur d’âmes, meneur de nos petites âmes paumées du nouveau siècle. » © Équateurs
Putain! C’est comme ça que j’aimerais appeler ma mère. Mais c’est maman qui sort; Parfois maman chérie. Et ma rancœur est parfois si forte que je me dis que la pièce manquante, c’est elle. Il faudra que je la confronte un jour. Au trou. Si j’en ai le courage. Je ne l’ai pas.
Oscar Lalo est un homme des points de bascule. Il a passé une partie de sa vie à écrire, des plaidoiries, des cours de droit, des chansons, des scenarii avant d’aller vers un premier roman inspiré d’affaires qu’il a pu avoir à traiter ou à plaider, qu’il a vues s’accumuler. Aujourd’hui c’est la littérature qui semble ainsi être devenue sa voix, avec ce premier roman « Les contes défaits », surprenant de maîtrise et de forme, qui juxtapose le récit d’un enfant défait par les brutalités d’un couple d’adultes pervers, le journal d’un sexagénaire qui n’épuise pas les questions posées par une enfance détruite et dont le saccage a été ignoré par des parents par ailleurs bien sous tous rapports et trop heureux, les vacances venant, d’abandonner leur progéniture dans un « home » si réputé.
Le premier -geste- fut quand l’homme d’enfants se mit à nous toucher les chevilles pendant que nous regardions un Charlie Chaplin.. Comment se laver d’un péché originel que l’on a pas commis? Qui est ce « on »? Qui est cet enfant qui n’a pas fait de crise d’adolescence, qui n’en arbore pas les cicatrices? Qui est cet adolescent qui n’est jamais devenu adulte à seule fin de ne jamais dominer un enfant? Car un attouchement va plus loin que l’acte lui-même. Il creuse une plaie dans l’eau de mer, qui ne peut que s’élargir .
Ce qui arrête dans l’écriture de Lalo, c’est, dans le vécu et le ressenti d’un petit garçon, cette capacité à lisser avec un vocabulaire d’enfant le récit d’un quotidien de colonie pénitentaire de vacances et une banalié faite d’une accumulation d’interdits et d’humiliations, d’une dictature blanche et d’une destruction. Presque comme une chanson douce, quand les ogres martyrisent! La justice plus crûment défairait le conte en parlant du viol qui aussi eut lieu.
L’histoire est celle d’un enfant et de l’adulte qu’il ne pourra pas devenir.
Je suis sans fondations. Ils m’ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m’empêche de mettre le mien. La page reste blanche car tout ce qui s’y inscrit s’évapore.
Sans rien dire jamais de ce qui ne se montre pas, loin de la honte et de la négation, Oscar Lalo convoque avec ses propres mots, pourtant universels, la langue sublime du silence…
Et c’est en écrivant l’indicible avec ce premier roman qu’il est entré de façon magistrale en littérature. » © Belfond
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