Qu’est-ce qu’on attend? Une bergère contre vents et marées… 🐑 #102
Ma question complète est: qu’est-ce qu’on attend pour changer le monde? Ce printemps, un créneau s’ouvre peut-être grâce au renouvellement municipal.
2020: on élit de nouveaux maires. Quoi de neuf par rapport aux années électorales précédentes? Nous assistons au départ d’un grand nombre d’élus locaux, ces boomers qu’on a toujours connus, cheveux blancs indéboulonnables qui décident (enfin) de couler une paisible retraite. Quoi d’autre? Un vent frais est passé au-dessus de la tête des français. Une tempête Gilets Jaunes, un ouragan de révolte populaire, et un zéphire de jeunesse en marche pour le climat. Une réflexion sur la responsabilité de chacun à reprendre les rennes de son destin s’est faite jour. Mais les gouvernements se suivent et les scandales ne diminuent pas, qu’ils soient financiers ou moraux. La défiance à l’égard des politiques, elle, augmente. L’abstention électorale inexorablement aussi.
Face à cette lassitude, dans de nombreuses communes, le principe de politique citoyenne donne aux habitants le courage de se lancer à l’assaut des mairies. Ils montent des listes composées de visages neufs et d’engagements volontaires.
Cette énergie est-elle transposable dans tous les territoires? Pas sûr. Faut-il qu’elle prenne la place de fonctionnements plus traditionnels? Réfléchissons.
Viva la Revolución?
Ce qui me perturbe dans cette vague de démocratie participative, c’est qu’elle ressemble beaucoup à la définition de la démocratie tout court. Celle à cause de laquelle les électeurs ne vont plus voter. S’ils ne se rendent même plus dans l’isoloir une fois tous les six ans, qu’est-ce qui peut les motiver à se rendre à des réunions de concertation tous les mois ou tous les trimestres? Car finalement, un collectif citoyen diffère peu du fonctionnement associatif. Et donc, les écueils attendus ne risquent-ils pas de plomber le désir de donner la parole à tous? Mon expérience collaborative s’est souvent soldée par le même constat: il y a ceux qui attendent une prestation précise en échange du paiement de l’adhésion, et il y a ceux qui arrivent tout feu tout flamme et veulent s’investir à fond. Leur quête d’épanouissement personnel se heurte immanquablement au fait que leurs idées et envies ne correspondent pas forcément à l’objet de l’association, ce qui les déçoit et les démotive rapidement. Et puis il y a les « résilients », qui ont compris que l’intérêt général nécessitait que quelques uns se mettent au service du collectif, en toute humilité et sans compter leurs heures, pour assurer le maintien du groupe. Si ces derniers constituent le socle pérenne de la vie associative, les premiers (qui attendent une prestation) et les seconds (déçus que la moindre de leur idée ne suscitent pas l’enthousiasme général) font des passages éclairs et repartent, déçus, de l’expérience collective. La vie de l’association repose donc sur un groupe, qui est reconnu à la majorité comme le plus apte à en prendre les rennes (sinon ils ne se verraient pas réélus à chaque assemblée générale).
Cela ressemble donc à la définition de la démocratie actuelle: on élit un groupe de représentants car on a confiance en eux pour prendre les bonnes décisions. Désigner des personnes pour leur compétence et leur implication en continu permet également au plus grand nombre de s’alléger d’un certains poids: chacun n’est ainsi pas obligé de connaître parfaitement toutes les règles qui régissent la vie quotidienne (l’urbanisme, les droits sociaux, les programmes éducatifs, la loi,…). Puisque certains sont désignés pour se spécialiser et centraliser les infos sur ce sujet.
Le défi des listes citoyennes sera sans doute de faire comprendre aux habitants que malgré leur motivation individuelle à s’impliquer, leurs avis n’ont pas tous la même valeur. Sur des sujets techniques (par exemple la qualité de l’eau potable à la sortie de la station d’épuration), la parole de Monsieur X, magasinier dans une boutique de sport, ne peut pas être considérée comme celle de Monsieur Y, ingénieur agronome. C’est un constat trivial qui n’est peut-être pas dans l’air du temps, mais le niveau d’information, de gestion humaine, de compétence technique ou d’expérience professionnelle, a plus de poids dans le fonctionnement d’une cité que la synergie citoyenne. Surtout dans les petites communes où les agents municipaux ne sont pas nombreux ni spécialisés, faute de budget, et les élus très responsabilisés dans les prises de décisions.
Il me semble délicat de confier les finances publiques à des habitants lambda animés uniquement de volonté humaniste et de quête d’égalité, si on n’élabore pas des garde-fous. Certains risquent de ne plus comprendre pourquoi ils sont moins égaux que les autres quand vient le moment de voter des décisions. Et comment gérer les choix impopulaires, tels que la restriction d’un budget, la fermeture d’une classe ou le licenciement d’un agent? Car le principe de réalité (diminution des dotations, baisse démographique, fermeture d’une ligne SNCF…) touche aussi bien les communes citoyennes que les autres! Une forme de système pyramidal sera forcément nécessaire pour que la commune fonctionne et ne s’enlise pas dans des débats sans fin entre citoyens qui s’épuisent. Pour finir, le bon sens risque de la faire ressembler à une démocratie toute banale…
Pour autant, la politique de papa est évidement poussiéreuse et nécessite d’être renouvelée. Alors comment?
Comment redonner aux habitants le goût des autres et le sens de l’intérêt général? Comment rétropédaler dans la société contemporaine où la mentalité dominante est axée sur le confort personnel et l’exigence de services personnalisés? Comment faire comprendre que le respect de l’intérêt collectif nourrit à long terme le bien-vivre de chacun? Et que l’inverse (des services personnalisés pour chacun) disloque la société, lui fait perdre sa cohésion, conduit à cet individualisme que tous déplorent et qui fait perdre l’âme des villages ruraux.
Arrêter les promesses électoralistes peut constituer une première piste. Cette vilaine habitude du clientélisme rejaillit lors de chaque campagne électorale: les candidats promettent à chaque catégorie d’électeurs d’accéder à ses privilèges spécifiques pour obtenir leur vote. Cette pratique est si éculée que l’on se demande par quelle naïveté certains peuvent encore y croire (mais une promesse n’engage que ceux qui y croient, n’est-ce pas?).
Le comportement navrant de certains élus est évidemment responsable de cette déliquescence. La non-exemplarité ou l’arrogance sont des repoussoirs évidents de l’engagement public. Mais aussi l’approche superficielle qu’ils peuvent avoir des dossiers avant leur élection.
Car pour qu’une promesse soit tenable, il faut s’intéresser avec sincérité à son processus , et non se contenter d’ordonner sa réalisation. Prenons l’exemple le plus courant: tout le monde aimerait que les cantines scolaires cuisinent des repas bios et locaux. Mais au-delà de l’approche santé et écolo, il y a une vraie filière qu’il faut comprendre: l’analyse de la production agricole du territoire, le principe de l’approvisionnement et de la logistique, les contraintes réglementaires et financières des agriculteurs, la chaîne du froid, la mise aux normes des installations sanitaires, le droit du travail et le coût horaires des cuisinières, etc. Aucun projet n’est impossible. Mais aucun n’est facile ni ne peut découler de la promesse déconnectée d’un candidat qui ne s’est pas confronté au principe de réalité.
Issu de la vraie vie
En cela, l’émergence de candidats issus de la vraie vie active est la meilleure chose qui puisse arriver. La société civile est un vivier d’élus mille fois plus souhaitable pour administrer une commune avec humilité et réalisme, qu’une accumulation de notables retraités ou de politiciens en fin de carrière. Les anciens vétérinaires, notaires, pharmaciens… ont pullulé aux postes de maires ruraux ces dernières décennies. Les moins de 50 ans n’adhèrent plus à cette approche paternaliste, parfois condescendante, qui semble dépassée par la nuance des enjeux contemporains: ces élus n’ont plus d’enfant scolarisé, pas de problème de revenu, de mobilité ou de précarité énergétique, pas d’angoisse de l’avenir. Ont-ils encore l’exhalation et la foi pour changer le monde?
La somme d’amour à fournir pour s’engager dans la vie locale est immense. Un amour bienveillant, empathique, sans jugement, pour le genre humain et ses milliards de défauts. L’envie d’améliorer le vivre-ensemble. Mais aussi un sens de l’équité (et non de l’égalité) nourri par le principe de l’intérêt général, dont il faut régulièrement replacer le curseur à la lumière des enjeux sociétaux. La capacité à cultiver une approche de court et long-terme en même temps. Et enfin une vision de la citoyenneté faite d’obligations davantage que de droits. Réclamer un skate-park est entendable, mais ces habitants nourrissent-ils le vivre ensemble en accompagnant les enfants de l’école à la piscine, participent-ils à la vie associative ou contribuent-ils à faire vivre les commerces locaux? Se contenter de consommer les prestations communales ne fonctionne plus. Telle une auberge espagnole, la municipalité prodigue et démultiplie l’énergie que les habitants y ont eux-même apportée.
Dans les communes alentour de chez moi, de nouvelles listes municipales éclosent toutes les semaines. Elles panachent visages neufs et personnalités solidement expérimentées par l’exercice municipal. Le principe de transmission semble les guider. Ces équipes sont parfois encore incomplètes (il reste 15 jours pour les déposer). Vous y réfléchissez? Alors foncez.
“Une bergère contre vents et marées”: tous les épisodes
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film “Jeune Bergère” de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)♦ Stéphanie Maubé dans l’émission “Les pieds sur terre” – France Culture: (ré)écouter (07/04/2015)
♦ Le portrait de Stéphanie Maubé dans Libération (26/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter “On va déguster“: (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
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