La bergère DMDM, épisode #41: vol au vent …
Zef, brise, embruns ou blizzard… Que cet aimable champ lexical évoque la fraîcheur des grands espaces et les sensations sauvages! Mais la nature n’est point que clémence et douceur, et le fauve en elle se réveille parfois.
Sa translucidité et le joli vocabulaire qui le désigne concourent à faire croire en son innocuité. Pourtant son souffle quotidien conditionne la manière de vivre et de travailler sur le littoral. Notamment de se coiffer, les embruns réduisant à néant toute tentative de lissage ou d’élégant port de tête. Il faut s’y faire: le bonnet bien enfoncé, ou des nattes de Heidi solidement torsadées, sont les seuls bastions contre les tignasses électrocutées.
Non content de faire valser tout ce qu’il rencontre, il est porteur de salinité et de sable. L’occasion d’un petit gommage facial plus desquamant qu’adoucissant, entre deux larmoiements irritées. Le vent n’est pas un allié beauté ni dignité…
Cet élément céleste constitue une énergie positive bien sûr: le respirer à plein poumon est exaltant pour retrouver l’impression d’être vivant, et vaciller sous ses assauts permet de prendre conscience de son corps, presque jusqu’à l’euphorisante apesanteur! Il est l’inspirateur du cerf-volant, du char à voile et des éoliennes et l’élément clé de la navigation. Incroyable énergie gratuite et à profusion, qu’il suffit de dompter!
Quand on travaille dehors, on guette chaque jour sa provenance. Il prend le plus souvent sa source à l’Ouest, en pleine mer, et amène pluie et humidité, accompagnées de la clémence des Celsius qui caractérisent les herbages de Bretagne ou Normandie. Quand il souffle de Nord-ouest, on l’appelle le noroît, délicieux terme patois d’obédience viking.
A chaque sortie d’hiver cependant, il faut affronter sa version frigorifiante: le vent d’Est. Glacial et piquant, il brûle les pointes d’herbes qui tentent d’émerger de leur repos végétatif, repoussant pendant des semaines l’atmosphère printanière dont on rêve pour sortir les animaux.
Ces derniers sont peu nombreux à apprécier les courants d’air. En cas de tempête prolongée, ils cessent de brouter et se tiennent en position d’accordéon, la tête rentrée dans les épaules. Une seule catégorie animale semble trouver ces rafales super drôles… La preuve par l’image!
Le courroux du vent tend à le rendre magnifiable, à exalter sa puissance imprévisible. Picturalement, il est célébré par les POM, les Peintres Officiels de la Marine. Et les poètes romantiques ne se lassent pas d’associer sa noblesse à la domination d’un châtiment divin. Je reconnais qu’il faut au moins se référer à un paramètre aussi mystique que Dieu pour se résigner aux dégâts matériels, après son passage en force, et trouver le courage de réparer et consolider. Jusqu’à la bourrasque suivante.
Les « culs-salés » que nous sommes sont-ils d’humbles Shadock de bord de mer? Le budget pour protéger notre littoral des assauts du vent et des marées est de plus en plus important. Doit-on capituler ou continuer à se battre coûteusement contre les moulins à vent qui se déchaînent? Après tout, le snobisme du front de mer est récent dans l’histoire de la villégiature, puisque cet inconfortable cadre de vie était abandonné aux petits pêcheurs et aux miséreux. Il ne serait pas venu à l’esprit des plus aisés d’aller s’exposer aux bourrasques dangereuses, et les alertes vagues-submersion ne leur provoquaient aucune adrénaline vivifiante.
Constat objectif ou suspicion climatologique: d’où vient cette impression que la violence du vent s’accentue d’année en année?
Ses mugissements se succèdent avec plus de rage chaque automne. Il détériore furieusement les éléments qui se posaient gentiment dans la douceur cotentine, se croyant protégés par le Gulf Stream qui réchauffe éternellement nos côtes.
Les « vigilances orange », de plus en plus fréquentes, nous envoient tous aux abris, avant les inventaires sinistres. Les volets et les tuiles? Arrachés. Les poteries anciennes? Fracassées. Les tôles, les bâches, les barrières? Dégondées, lacérées, envolées. Les grandes marées? Affolées, tourmentées et affamées de nouvelles terres à engloutir. Attisées par un dieu vengeur qui les transforme en houle menaçante, les vagues s’immiscent chaque mois dans de plus nombreuses failles terrestres. Les dunes sont déplacées, les bicoques écroulées, les digues dépoitraillées, les arbres un peu plus penchés, les salons prêts-à-être-écopés.
Le vent du matin n’a rien de frais: il est destructeur et coûteux. Il réduit à néant les efforts décoratifs, la coquetterie architecturale, l’art-de-vivre à l’extérieur… Il suscite l’envie d’aller vivre hors-sol et hors d’eau. Il induit un réflexe de survie: « dès que les vents souffleront, nous nous en allerons ».
Les premières tempêtes de l’année se nomment Carmen, David et Eleanor, triolisme d’une ultra violence. Elles sont synchrones avec une pleine lune et une grande marée. Rangeons paillettes et cotillons, l’heure est désormais aux k-ways et aux dos ronds.
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