La bergère DMDM, épisode #33 : Quand vient la fin de l’été…
Parce qu’il y a un été en Normandie? Oui mais le vrai chic, c’est quand il se termine…
La Normandie figure rarement dans le top 3 des destinations où l’on fantasme d’aller l’été. Surtout quand on attend de ce moment: dépaysement, aventure, fun, sexe, rock’n roll, corps de rêve à la plage et cocktail fluo… (c’est à dire quand on est jeune et célibatoche)
De là à affirmer que la Normandie est la destination la plus judicieuse pour les vieux, les familles temporairement associables car pleines de bambins, les complexés qui n’aiment pas se mettre en maillot de bain, les rabat-joies qui détestent les paradis artificiels, et les fauchés qui n’ont pas trouvé de meilleur plan où s’incruster… Le constat est presque juste!
Mes amis citadins ne viennent jamais me voir. Jusqu’au jour où ils font des enfants, et où partir sur la côte d’Azur apparaîtrait comme un gros gâchis. Il vaut mieux aller vomir sa diversification alimentaire et gâcher ses après-midi de sieste sous une bonne pluie normande que sous le coûteux zénith provençal. Car oui, la précarité météorologique est notre principale tare. Et elle conditionne tout le reste. Pas de paillotte de plage, pas de torse de surfeurs bronzés ni de cagole endiamantée, pas de vie nocturne déjantée.
Ici, on prône une sensorialité rustique, l’authenticité de l’osmose avec la nature, les randonnées qui réchauffent, les pulls en laine, le vent dans les cheveux et une gastronomie riche en crème fraîche. Même l’été ! Mais comme ces codes sonnent tout à fait automnaux, les vacanciers qui viennent de leur plein gré et non par défaut (c’est-à-dire pas les vieux, ni les familles ni les fauchés) nous rendent visite en automne! Quelle belle idée, car ces petits séjours post-rentrée sentent bon les chandails douillets et la cuisine au beurre. Du point de vue de la cohérence saisonnière, ça colle mieux qu’au mois d’août.
Nous les indigènes locaux, convenons d’être des lieux de villégiature de second choix et d’arrière-saison – ce qui nous met nettement moins la pression que si l’on vivait au Cap d’Antibes et qu’on devait gérer les attentes pleines d’enjeux de nos amis pendant les six mois d’été. Notre humble créneau se révèle aussi plus inspirant pour occuper nos plaisanciers en quête de sensations brutes! Si les journées sont encore assez douces pour écumer les plages et falaises lors de promenades bien emmitouflées, l’apéro au pommeau se justifie aisément dès la nuit tombée, vers 18h30. Ça, c’est peu après le goûter fait de chocolat au lait de ferme et de pain de campagne surmonté d’une motte de beurre tellement indécente que les parisiens préméditent une semaine de détox pour l’exorciser. Et juste avant le dîner qui sert à réviser l’étendue des saveurs de ce terroir fécond: rillettes de poisson, plateau de fromage, viandes normandes, gibier,… sans parler des pêches miraculeuses liées aux grandes marées d’équinoxe, qui les rendent fous (ton voisin t’a vraiment donné un homard et ces dizaines d’huîtres??). Avant qu’ils reprennent la route du retour, on a le foie tellement saturé qu’on se contente tous d’une soupe et d’une infusion. Même nous les autochtones, car au quotidien on ne festoie pas aussi richement que quand on reçoit nos chers convives anémiés et affamés. Nos artères n’y survivraient pas.
Dans le kit « Week-end en Normandie » sont également attendus: la collectionnite de galets et coquillages (avec lesquels on rempierrera les trous du chemin parce qu’ils renonceront à en encombrer leur appartement), la flambée dans la cheminée (qui ne réchauffe pas mais qui dilapide un mois de bois de chauffage dont on a vraiment besoin pour tenir l’hiver alors on est horrifié mais on ne rechigne pas parce que y’en a marre d’être radin, c’est cool que nos invités nous rappellent l’art-de-vivre qu’on a défendu en arrivant ici) et les bottes en caoutchouc qu’ils ont oublié d’apporter, alors on prête des vraies qu’on porte, très moches (nous, les gens du coin, on s’achète des premiers prix dans les grandes chaînes, pas des belles Aigle d’apparat). Il y a aussi la tournée des petits producteurs pour ramener à Paris de vrais aliments qui ont du goût, dégotés à la source, parce que les circuits courts sont l’avenir de l’agriculture. Et la nécessité d’aller tous les jours « faire le plein d’iode »! J’ai même souvenir d’une voiture décapotable repartant à Montmorency avec le coffre rempli de fumier pour le jardin, incontestablement plus authentique que du terreau acheté chez Truffaut…
Ces petits clichés réconfortants se sont mués en rituels de l’automne. Je les savoure car les visiteurs de la Toussaint sont notre dernier bastion social avant la longue traversée de l’hiver. Ils reviendront à Pâques, avec l’attente que les prémices du printemps soient plus palpables dans les chemins de terre qu’en centre-ville. Ils capteront avec appétit le moindre rayon de soleil ou la plus petite primevère, qu’ils instagrameront dans l’instant.
Sans ce regard agréablement frivole, la vie rurale ne serait que rude. Leur avidité d’épicurisme est décomplexée, nullement encombrée de cette pudeur sacrificielle dont on se pare, nous les gens qui vivons sur ce littoral taiseux.
L’enthousiasme virevoltant de nos visiteurs d’automne constitue définitivement un de nos plaisirs de vivre en Normandie.
La plupart des photos sont issues du très inspiré blog du cotentin dont l’auteur, Mathilde Mochon, arpente inlassablement les quatre coins à la recherche d’ambiances délicates et gourmandes.
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