Parce que les éleveurs ne peuvent se faire indéfiniment manger la laine sur le dos, il était temps qu’ils se penchent sur cette matière première délaissée. Pelote et rebelote, c’est ici que ça commence!
Ces initiatives ont parfois permis de valoriser des machines traditionnelles qui tombaient en ruines, ou même de relancer des races de moutons à petits effectifs, et naissent souvent du partenariat entre éleveurs, associations ou Parcs Naturels Régionaux… Sans ces initiatives, les toisons partent le plus souvent en Asie à très bas prix, afin d’être transformées en literie, car elles sont considérées comme un sous-produit encombrant. Y compris par la plupart des éleveurs qui préfèreraient avoir des moutons sans laine et sans entretien. Du gâchis – à la lumière des préoccupations locales et équitables qui animent de plus en plus de consommateurs!
Depuis quelques années, l’intérêt pour la laine locale explose de manière exponentielle! Enfin, c’est ce que les éleveurs espèrent… car l’engouement vient surtout d’eux, des associations et des collectivités. Pour être honnête, on n’est pas encore certain que les consommateurs suivent le rythme. Leur discours de On veut consommer local est irréprochable, mais concrètement, qu’on vende notre laine sur un marché ou dans une boutique, on ne peut pas dire que les stocks soient dévalisés. Le « passage à l’acte » d’achat est encore en cours de réflexion dans leur esprit, ce qui nécessite de la patience de la part de tous les éleveurs qui trépignent d’envie de relancer une filière française. D’autant que la transformation est un parcours du combattant logistique, puisqu’il ne reste qu’une seule laverie agréée en France, et une seule filature faisant du travail à façon, où l’on est sûr de récupérer notre laine à nous. Les délais sont donc longs et les frais de transport élevés.
Il y a visiblement bon espoir que cela s’améliore, puisque les projets de micro-filature fleurissent un peu partout, tout comme les formations pour apprendre à trier la laine, la filer, la tisser et la teindre avec des plantes. Il s’agira ensuite de définir un équilibre économique car toutes ces étapes artisanales ont un coût lié au temps de travail. Et génèrent un prix de vente bien supérieur à un accessoire en acrylique Made in Bangladesh.
Le Mouton Avranchin, ma race fétiche, possède une des laines les plus fines. Quelques-uns de nos éleveurs réfléchissent depuis longtemps à la manière de la valoriser, ce que l’on va tenter de faire à travers une coopérative participative, qui regroupera également des créatrices textiles, couturières, tisserandes, tricoteuses… Nous sommes une quinzaine de nanas à nous regrouper autour de la dénomination (attention bande-annonce): Laines à l’Ouest! Cette coopérative vise à collecter les toisons des races locales et assurer la transformation jusqu’à l’accessoire final, commercialisé par nous sous notre marque collective.
Cette semaine avait lieu l’incontournable rituel de la tonte! C’est habituellement une corvée éreintante car, bien qu’elle soit effectuée par un tondeur professionnel, ce moment est l’occasion d’une visite médicale complète. Il faut vérifier l’état corporel de chaque brebis pour s’assurer qu’elle a bien repris ses kilos post-grossesse (à l’inverse d’une humaine, après l’accouchement on fait tout pour que la brebis retrouve ses fesses dodues et ses poignées d’amour). Le fait qu’on la manipule comme une poupée de chiffon permet de vérifier si ses dents ne se déchaussent pas, si ses mamelles sont bien souples, de la vermifuger et de lui couper les ongles de pied. Elle ressort de l’exercice belle comme un sou neuf, mais les nerfs à cran, car avant ce rituel de beauté, on la fait jeûner pendant 12h pour qu’elle soit plus légère à tourner dans tous les sens. Elles attendent ensuite leur tour, serrées les unes contre les autres, afin d’augmenter la sudation et permettre à la tondeuse de bien glisser sur leur peau. Une équivalence sensorielle serait de prendre le métro parisien à l’heure de pointe au mois d’août, un jour de grève, en manteau de fourrure, et sans monnaie pour acheter au distributeur une boisson ou un Kinder Bueno…
Cette année, la corvée de tonte s’est transformée en chantier participatif réjouissant! Notre bande de filles triait les toisons au fur et à mesure. L’objectif était de séparer les noires (plus rares donc plus précieuses), et dans la masse des blanches, de séparer celles des Avranchines destinées à faire du fil de celles des Roussines, plus grossières, destinées à rembourrer des coussins. Nous avons ensuite élaboré un protocole simplifié pour rincer quelques toisons dans la rivière, dans des poches à huître accrochées dans le courant ! Outre le fait que c’est expérimental et totalement interdit (le lavage des toisons est soumis à règlementation, mais je prends le risque que l’on me mette en prison pour « rinçage de laine naturelle dans un cours d’eau »), notre partie de trempouille à l’ancienne nous a bien fait rire. Et a permis de cimenter notre projet autour des notions de faisabilité et de compétences complémentaires.
Grâce à la diversité de nos savoir-faire et notre détermination, j’ai confiance en notre cap à l’Ouest et notre laine de vert paysage… sans compter l’indicible joie d’avoir un projet de groupe, qui irradie d’énergie par rapport à un quotidien en solo!
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