Une envie de Bagatelle … 🇺🇸 Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #247
C’est le printemps, et Paula en est toute remuée.
Prendre une baguette bien fraîche, la fendre délicatement pour ne pas en écraser les alvéoles, humer en ce faisant son odeur de levain. Couper quelques tranches d’un Reblochon de printemps particulièrement goûteux et surtout en conserver la croûte. Les disposer soigneusement sur le pain, ajouter quelques cerneaux de noix et les recouvrir de feuilles de mâches, les petites, bien serrées qu’il a fallu laver trois fois.
Un reblochon-mâche… Sinon rien !
En général, mon mal du pays s’annonce par la confection mentale de ce sandwich et, toujours mentalement hélas, je le déguste accompagné de champagne. C’est sans doute une faute de goût mais six mois sans champagne me font oublier tous les principes culinaires. Ensuite je me balade en ville et savoure un café-clope à la terrasse d’un bistrot dans une rue animée pour me moquer intérieurement ou plutôt sourire des passants. Ou je vais baguenauder dans un parc; en cette saison, ils sont troublants de vitalité. Une séance de ciné dans un « art et essai » pour revoir un Lubitsch ou un Black Edwards en fin d’après-midi et pour passer agréablement ce moment de la journée que je n’aime guère. Et me voici en train de dîner avec des amis ou en famille, chez eux évidemment parce qu’en France je n’ai plus de « chez moi » depuis fort longtemps.
Plus de six mois que je suis coincée en Amérique dans l’attente de ma carte de résidence et de mon permis de travail et la nostalgie m’a saisie il y a quelques jours. J’ai rêvassé quelques jours jusqu’à raconter à Marco la liste de mes envies. Il n’a même pas eu à sourire pour que je réalise, en m’écoutant, combien mes envies ressemblent de plus en plus à des clichés (sauf pour le reblochon-mâche) et surtout que, vu le confinement en France, je ne pourrais pas en réaliser les trois-quarts (sauf le reblochon-mâche)
Aller à la bêche …
Alors, j’ai remis ma liste dans mon grenier mental et suis sortie bêcher. Trois grandes bandes m’attendaient au potager. Dans la maison de nos amis, on mange tout l’été les légumes de Mama. Mama quand elle était au pays, en Centrafrique, avait plus de vingt hectares et s’était mise à cultiver fruits et légumes pour sa famille. Ici, les tomates remplacent les ananas mais gombos et piments sont aussi cultivés. Pour l’heure, il faut préparer la terre, alors je bêche. J’ai passablement agacé mes compagnons à force de m’extasier devant les vers de terre. Récemment, j’ai découvert l’intérêt de Darwin pour ces animaux qu’il a étudiés pendant une quarantaine d’années, en lisant Darwin’s Worms: On Life Stories and Death, du psychothérapeute Adam Phillips, un regard croisé de Darwin et Freud sur les liens entre la vie et la mort: pour le premier il s’agit d’accepter la mort comme substrat de la vie (et les vers de terre créent la terre végétale à partir de déchets et carcasses), pour le second, vivre pour pouvoir absolument en déterminer l’instant final – de ce que j’en ai retiré.
« l’homme n’est rien qu’un vers » Calendrier de 1882 de la revue Punch © Wikipedia
Si le potager est bien protégé des daims, assez nombreux dans la forêt qui ceint la maison, par de hautes palissades en bois, il est nettement plus vulnérable aux racines des arbres. La concurrence est rude et il nous faut couper les racines. J’ai quelques remords car je connais maintenant les stratégies de survie des arbres – leurs racines colonisent ou pas le sol en fonction de la proximité d’un autre arbre de la même espèce – mais j’aime aussi beaucoup les tomates. Et si ici, en Amérique, les circuits d’approvisionnement en légumes sont aussi bien désorganisés que le système de santé, nous serons bien contents d’avoir des légumes frais d’ici un bon mois.
Marco préfère tailler les rosiers et je lui en sais gré car ainsi, je pourrai me croire dans les allées du jardin de Bagatelle, un lieu où j’aime à me promener quand je suis chez ma sœur, là-bas, au pays.
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