Paula: Encore quelques heures et je rendrai la clef au propriétaire!
Déménager nous oblige à choisir. Nous déménageons généralement léger, c’est à dire sans meubles et principalement en bagages accompagnés. Soit nous louons meublé, soit nous revendons tout avant de partir. Nous sommes venus en Tunisie avec dix bagages (trois malles, deux grandes valises, un ‘garment bag‘, un gros sac, et trois petites valises «cabine»). Alors, j’ai pris ma calculette et comparé l’option bateau et train à l’option avion. Au final, les coûts sont similaires et l’avion s’avère plus pratique. Enfin, à priori. Je n’exclus pas que les douaniers s’intéressent à mon convoi de chariots à bagages.
La question du transport résolu, il s’agissait de tout faire rentrer dans ces bagages en les gardant sous la barre maximale des 23 kg. Les choix furent rudes; le plus simple aurait été de reprendre strictement ce avec quoi nous étions venus. Sauf que nous avons acheté quelques trucs… oh ni tapis, ni mosaïques, mais quelques poteries et foutas locales (ces cotonnades si pratiques) et quelques objets quotidiens que nous sommes las de racheter à chaque installation.
J’essaie toujours de planter un arbre où je me pose. Le patio carrelé ne le permettant pas, nous l’avions rempli de plantes, encouragées chaque matin à s’épanouir. Qu’en faire, sachant que notre maison sera louée en discontinu à des estivants? Nos amis les ont finalement recueillies.
Partir, c’est faire ses bagages mais c’est aussi dire au revoir et plus souvent adieu qu’au revoir. Aux gens et aux lieux. Je le fais tout doucement et si possible, l’air de rien. Je ne prise pas les pots d’adieu, les «farewell parties ». En mission humanitaire, je rentre dans ce jeu là plus facilement car ce sont de joyeux moments pour les équipes, une occasion de faire la fête, de bien manger et boire. Ici, à Tunis, je partage quelques instants en petits comités, souvent un repas comme un couscous familial, ou une lablabi (soupe de pois chiche) – découvrant à l’occasion que la meilleure de La Médina se trouve à 5 mn de la maison. Damned! si j’eusse su, nous en eussions souvent dégustée, les nombreux soirs de flemme culinaire.
Part-on, rentre-t-on? Je ne sais jamais dire. Quelle adresse mettre sur les formulaires de police des frontières? Expatrié, émigré ou immigré? Au mot «patrie» bien trop lourd pour les nomades, je préfère la « migration ». Les oiseaux migrent. D’ailleurs, je viens d’entendre les premières oies sauvages ; elles prennent leur quartier d’hiver. Au premier mois de notre séjour, elles survolaient le quartier chaque soir.
Pour mon dernier soir à Tunis, j’accompagnai mon amie à la clôture d’un festival de films sur les droits de l’homme. Plaisir supplémentaire, la cérémonie se déroulait dans le ciné-théâtre de son compagnon. La salle a de l’allure et à chacune de mes venues, j’ai constaté un nouvel embellissement. Pourtant à Tunis la distribution des films n’est pas une entreprise facile, les droits sont chers au regard des prix des billets, le public pas toujours au rendez-vous. Pour fonctionner, ce cinéma se propose aussi comme salle de spectacle, et il aura bientôt un bar.
Quand la langue est savoureuse: Comment appeler ces bus doubles qui s’essoufflent en ville? «Bus à soufflet» n’est pas très heureux, qui peut trop vite dériver en «bus essoufflé». Les Tunisois les ont baptisés «Zina et Aziza», du nom de deux inséparables danseuses du ventre, fameuses dans les années 70.
Quand la joue est râpeuse : Notre ami, chauffeur, constate que les soucis de santé de son barbier lui portent préjudice. Plusieurs femmes ont boudé son taxi, le prenant pour un salafiste. Pourtant, il y a barbus et barbus à Tunis, les « modeux » à la barbe plus ou moins soigneusement taillée et les broussailleux. Le distinguo n’est pas toujours évident mais pourquoi les religieux auraient-ils l’exclusivité du poil au menton?
Dernière image: L’aéroport est plein de voyageurs en ce jour d’élection et de début de vacances scolaires. Cette année, les vacances ont été avancées d’une semaine. Les écoles servant de bureaux de vote, elles sont réquisitionnées, trois jours durant, alors autant mettre les enfants en congés plus tôt. La date d’une finale nationale de foot, prévue ce jour, a également été modifiée: inutile de rajouter des motifs d’abstention et surtout de rassemblements. On redoute la violence de mauvais perdants, et pas seulement des supporteurs. J’observe les doigts des passagers autour de moi: ceux de mes voisins gardent trace de l’encre électorale. Ils m’expliquent qu’à 8h, ils étaient à l’ouverture du bureau de vote; pour rien au monde, ils n’auraient laisser passer Marzouki.
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