Paula a appris trop tard qu’une marche pour le climat était organisée à Kinshasa en apercevant, le jour dit, une affiche le long du « Boulevard ». Pas moyen donc de savoir si le réchauffement climatique mobilise les foules, ni à quelle place il se trouve dans les préoccupations des « Kinois ».
La radio m’apprend le lendemain que le gouvernement congolais est terriblement préoccupé par le sujet puisque pas moins de 150 personnes composent sa délégation. Après tout, posséder une forêt en pleine forme pourrait rapporter autant que de la vendre, sachant que les p’tits malins peuvent même faire les deux. La RDC, que d’aucuns comparent à un brocoli, possède la deuxième plus grande forêt tropicale humide du monde. Elle fait partie du premier lot de six pays africains à avoir rédigé leur contribution aux objectifs de la COP 21, et vise une réduction de 17% des émissions de GES pour un budget de 21,622 milliards de dollars sur 9 ans 2021-2030. Mes collègues congolais ont franchement éclaté de rire quand je leur ai parlé de cet objectif et du budget afférent.
Je sais par contre que les Kinois s’agacent de l’insalubrité de la ville. Depuis aout, l’Union Européenne a cessé, comme prévu, de soutenir la ville province de Kinshasa pour le ramassage des ordures. (Le programme d’assainissement urbain de Kinshasa (« PARAU-PAUK ») a étélancé en 2008 et couvre aujourd’hui 9 des 24 communes de Kinshasa, mégapole de près de 10 millions d’habitants). De fait, celles-là sont bien collectées chez les particuliers par des « poussous » (entendez pousse-pousse en lingala) et déposées dans des sites temporaires. Tous les deux à trois jours, un camion benne les acheminent jusqu’à la décharge principale. Mais les camions ne passent plus, faute de carburant, de paiement des salaires, et toujours cette réponse, « de manque de moyens ». L’UE a refusé de prolonger plus avant son appui, ce projet aurait déjà dû s’arrêter en 2014. Pendant que province et état se renvoient la balle pour décider dans quelle proportion chacun prendra le relais, la ville exsude des odeurs de ville pourrie. Quand je passe devant les tas d’ordures, je relève soigneusement la vitre de la voiture.
Eh oui ! Je préfère une bonne suée car notre véhicule n’a pas de « clim ». Voilà un pied de nez au cliché de l’humanitaire traversant des quartiers de misère dans un gros 4×4 confortable. La semaine passée pour me rendre sur le site d’une pesée communautaire, j’ai dû laisser la voiture et marcher 20 mn dans des pistes boueuses en plein cœur de la ville. Avec une collègue « superviseur nutrition », nous avons fini par nous poser sous un manguier dans un cercle de femmes invitées à une consultation pré-scolaire. Ces consultations se déroulent dans les centres de santé ou dans les quartiers. L’objectif est de surveiller les cas de malnutrition et de marteler des messages sur l’allaitement, la nourriture équilibrée, les soins aux enfants de moins de 5 ans. Nous n’intervenons pas directement mais formons et « motivons » des relais communautaires pour assurer surveillance, dépistage et sensibilisation. J’observe plus les mères que les enfants. Je suis atterrée par la jeunesse de ces jeunes femmes, parfois jeunes filles d’une quinzaine d’années, déjà mères. Je ne saisis pas toutes les nuances des propos échangés, les discussions se faisant en lingala mais je capte les réactions verbales et non verbales, y lis un certain découragement. Et je rêve de programmes à « assise communautaire » où l’on apprendrait aux adolescentes à ne pas devenir mères. Les Congolaises éduquées le savent bien et contrôlent tranquillement leur maternité mais elles sont minoritaires.
75% de nos dépenses se font en cash, il nous faut donc fréquemment aller retirer du liquide à la banque. Dernièrement, j’ai dû le faire. Tout d’abord, il m’a fallu attendre mon tour pour découvrir que je m’étais fourvoyée du coté du vulgus pecum, alors que bien sûr, avec mon gros compte bancaire, je suis VIP. Là, j’ai de nouveau patienté un long moment même quand ce fut mon tour. Le guichetier ne savait comment considérer la copie de mon passeport. Je lui ai patiemment expliqué que depuis deux mois, mon passeport était quelque part dans un bureau de la Direction générale de la migration en attente d’un visa de travail, payé fort cher dès le jour du dépôt. Une amie m’a même dit avoir vu le sac de jute dans lequel les passeports s’entassent pêle-mêle. J’ai finalement eu le droit de signer le chèque de retrait et de repartir avec un sac plein de billets. J’avais prévu de quoi transporter mon butin mais je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant une dame ressortir, portant au bras son sachet plastique « Obama » gonflé de dollars.