Marco & Paula : Carnets d’ailleurs #39 : Le sonore « Osa malamu! »

Je suis rassurée, le Congo RDC n’échappe pas à la règle, ici comme ailleurs, les publicistes nous prennent pour des idiots. J’aime beaucoup cette affiche du petit gars un peu maigrichon qui se verra monsieur muscles en buvant sa bière. Il existe plusieurs versions où il est seul devant sa glace ou avec sa compagne, celle-ci franchement émoustillée à l’idée de ce qu’il pourrait devenir. Affligeant.
La circulation dans Kinshasa est le plus souvent chaotique. Pour me rendre au bureau et en revenir, j’ai la chance d’être dans le sens inverse du flux, et mes pérégrinations se font dans la zone Nord de la ville, celle des bureaux centraux des décideurs économiques, politiques et humanitaires, là où les routes principales sont larges et balayées chaque jour. Dès que je me rends sur le terrain, l’affaire se corse. Kinshasa est un énorme agglomérat de communes faisant alterner centre populeux et zones péri-urbaines. Les communes où nous intervenons sont éloignées, pauvres, mal ou pas bitumées avec de larges égouts obstrués et malodorants : tomber dedans – l’absence des plaques de couverture en élève la probabilité – ferait passer les épreuves trash de la série Jackass, pour des jeux de kermesse. Les embouteillages sont constants. Parfois, il nous faut tenter des alternatives, effectuer un demi-tour, rouler un peu et se retrouver bloquer quelques rues plus loin. Rien de bien original, il est vrai. Mais « Kin » recèle, à quelques carrefours névralgiques, une particularité que je n’ai jamais vue ailleurs : des policiers androïdes. Chapeau bas !

Nous aurions apprécié ma collègue et moi de tomber sur une telle Intelligence artificielle, lorsque nous nous sommes fait arrêter pour avoir emprunté un sens interdit bien évidemment non indiqué. L’intelligence bien humaine du policier s’est obstinée à nous considérer coupables donc taxables. Cette route sur ses 20 derniers mètres est à sens unique, il aurait fallu tourner à droite. «Le panneau de signalisation n’est plus là ? Et alors ?» Nul n’est censé ignorer la loi…
Je découvre quelques subtilités du langage congolais. La réponse à la question : « comment ça va ? » n’est pas standardisée. Votre interlocuteur vous répondra : « Ça va un peu », « ça va assez », « ça va bien ». En lingala, la langue locale la plus partagée à « Kin » dont nous apprenons quelques rudiments, Marco et moi, ces nuances nous échappent encore et nous nous contentons du sonore « Osa malamu ». Un de mes collègues congolais m’a mise au défi de me présenter à lui avec, chaque jour, un nouveau mot… Il ne sait pas que mes neurones linguistiques renâclent à emmagasiner encore des nouveaux idiomes mais chaque matin, j’ânonne l’expression nouvelle que m’a apprise le chauffeur, et l’oublie aussitôt.
J’ai toutefois enregistré sans problème « démocrature ». Cet africanisme congolais (dont le linguiste Ntumba Llunga de l’Université de Kinshasa propose quelques exemples) désigne une sorte de démocratie forgée à la mesure d’un dictateur en vue de sauvegarder son pouvoir. Un mot que l’on va certainement entendre souvent dans la période pré-électorale qui s’annonce, bien que le calendrier électoral des gouverneurs de province puis du président subisse de nombreux amendements pour des raisons diverses et avariées : nouveau découpage des provinces (plus personne ne sait d’où il vient, le pays étant passé de 11 provinces à 26), obsolescence des véhicules et des générateurs de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), démission du président de celle-là…
Ce matin, j’ai appris cette délicieuse expression : « j’ai fait le pied », autrement dit : « j’ai marché ».

Le bâtiment où loge l’ONG pour laquelle je travaille, est facile à trouver en raison de l’éléphant grandeur nature installé en devanture. Il symbolise le groupe Chanic, un groupe belge dont toutes les activités – construction navale et métallurgie pour la plupart – sont en RDC. Je ne saisis pas vraiment le lien entre les bateaux du fleuve et l’éléphant mais cela me permet d’en voir un tous les matins. Dans les couloirs sont encore suspendus des photos en noir et blanc qui nous « parlent d’un temps que les moins de 20 ans… » – extrait d’une chanson d’Aznavour que les moins de 50 ans peuvent ne pas connaître – d’un Kinshasa révolu figé dans sa torpeur, très loin de la ville actuelle.
Tout Nomad’s land.
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