Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #138: Sur le départ et sur le retour…
30 Novembre – projet clos, loyer échu, les nomades prennent la poudre d’escampette, ce qui s’avère laborieux.
Vendredi, 18 heures – nous devrions avoir terminé de faire nos malles et valises, mais nous sommes toujours en train de les peser pour s’assurer qu’elles restent en dessous des fatidiques 23 kilos aériens, et nous en sommes à faire le tri dans les tas épars sur le carreau. C’est intriguant: nous sommes arrivés à Abidjan avec cinq malles et quatre valises, nous n’avons rien acheté qui prenne de la place, et pourtant, il doit bien y avoir une demie valise de trop répandue sur le sol. Au moins, cela explique que nos bagages ne soient toujours pas prêts; il faut peser le pour et le contre, ce à quoi j’applique une règle simple: si je n’y ai pas touché depuis un an, je laisse. Sinon, je réfléchis un peu plus.
Et bien évidemment, nous jurons, comme dans la fable, que l’on ne nous y prendra plus. La prochaine fois….
Issaka, notre cuisinier/homme à tout faire bi-hebdomadaire est venu en début d’après-midi et nous regarde maintenant avec un air légèrement désapprobateur, puis il se met à nous expliquer doctement que si nous avions commencé à faire nos valises trois jours à l’avance, nous n’en serions pas là. Je suis ruisselant de sueur sur notre champ de bataille, et je commence à le trouver légèrement impertinent. Il ne peut savoir que Paula et moi souffrons d’un cas sérieux d’aversion à l’empaquetage, qui semble s’aggraver avec les déménagements.
Issaka n’est pas venu simplement nous complimenter sur notre capacité à susciter le chaos, il est venu aussi garder un oeil sur son « héritage », toutes ces choses que nous laissons derrière nous, ou pourrions laisser: le ventilateur (c’était prévu), quelques draps (c’était une possibilité), le fer à repasser (ça n’était pas dans les plans, puisque nous l’avions apporté avec nous de Kinshasa et pensions qu’il retrouverait sa place dans les malles), et toute une variété d’objets dignes d’un inventaire à la Prévert. Issaka se fait du souci car il ne voudrait pas que les gardiens de l’immeuble mettent la main sur son butin avant qu’il revienne nettoyer l’appartement. Nos départs d’Afrique ont parfois des airs de curée…
Tout cela se termine par un départ un peu précipité vers l’aéroport. Plus ou moins comme d’habitude…
Samedi matin, 9 heures – nous atterrissons à Istanbul, avec tous nos bagages, un air un peu hagard, et la tête dans des souvenirs lointains.
Il y a un peu plus de quarante ans je débarquai à l’aéroport d’Ankara, dans le cadre d’un programme d’échange d’étudiants. Ce premier voyage hors d’Europe fut la prémisse d’une vie nomade que je ne devinais évidemment pas, même si après deux mois passés en Turquie, je ne voulais plus partir. Mon ami Demir dût presque me pousser dans l’avion du retour.
Je ne m’imaginais alors pas qu’il faudrait aussi longtemps pour revenir à ce point de départ, même si j’ai passé des années à songer que, l’age de raison venu, j’irais m’installer dans un petit village au sud, sur la côte Adriatique. Un rêve inspiré par de brèves vacances là-bas, et par le livre de Lawrence Durrell, “Bitter Lemons”, sur les trois années qu’il passa dans un village de Corfou avec le projet de revenir à la littérature.
Demir nous attend, mais ce n’est pas encore le moment de poser les malles. Nous venons passer une semaine à Istanbul, principalement parce que j’ai une forte envie de retrouver cet ami de fort longue date, ce qui, quand on mène une vie nomade, peut prendre une ou deux décennies. Et j’ai fini par comprendre qu’avec le temps qui passe, les opportunités de se revoir se réduisent comme des peaux de sagrin – cette expression du xvième siècle, d’origine turque, s’est transformée en « peau de chagrin »; le sagri est la peau de la croupe des ânes utilisée pour faire des tambours – les tambours qui battent le rappel de nos années?
► nous écrire: desmotsdeminuit@francetv.fr
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