Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #125: Histoire en Noir et Blanc…
De retour de sa pause d’été, Marco s’abîme dans les contrastes et couche le Noir de ses pensées sur le Blanc de l’écran.
Le diptyque Blanc/Noir, cette évidence qu’aujourd’hui l’on s’imagine sauter aux yeux, n’est ni naturel ni antique. A Rome, les esclaves étaient de toutes les couleurs; ils pouvaient être noirs importés de Numidie, grecs et éduqués, blonds et capturés sur un champs de bataille en Gaule, ou vendus par des parents romains en besoin de sesterces. En fait, l’esclave était tellement indistinguable des distingués citoyens romains que le Sénat envisagea un temps de leur faire porter un signe vestimentaire distinctif (une étoile jaune, peut-être?). Mais, dit la chronique de Sénèque, le Sénat abandonna cette belle idée de peur que les esclaves ne se rendent compte de leur nombre. Et se révoltent. Bref, pas d’opposition Blanc/Noir à cette époque.
Le Blanc apparaît tard sur la scène. Littéralement. En octobre 1613, sur la scène d’un théâtre anglais où se jouait la première de la pièce « Le Triomphe de la Vérité » de Thomas Middleton, un acteur – grimé sans doute – jouant le personnage d’un roi Africain, s’exclama en regardant son audience « je vois la stupéfaction se peindre sur le visage de ces Blancs … » (« white people », dans le texte). C’est la première référence textuelle que l’on trouve de cette altérité, selon Ed Simon. Et une fois le Blanc mis en scène, le Noir ne pouvait qu’apparaître à son tour, cela va de soi.
Et en héritage aujourd’hui, que vous vous promeniez dans Paris ou dans Abidjan, le Blanc/Noir vous saute à la figure et vous permet de n’y pas regarder de plus près.
Toute cette réflexion en noir et blanc m’est venue l’autre jour en réfléchissant au phénomène de ceux que j’appelle les passeurs, après une conversation avec une amie ivoirienne dans laquelle il était beaucoup question de « vous les Blancs » et « nous les Noirs », les habitants de ces deux continents à des océans lumière l’un de l’autre, que tout semble opposer. La discussion portait sur une distinction triviale : la fréquence avec laquelle on prend des nouvelles des siens. Elle ne pouvait comprendre que depuis plusieurs jours je n’ai pas eu, ou pris de nouvelles de ma fille qui étudie sur un continent voisin, alors que, m’expliquait-elle, ici tout le monde prend des nouvelles de tout le monde tout le temps, y compris des voisins du quartier. Elle y voyait l’indifférence frigide du Blanc en contra-distinction avec la « chaleur africaine » (l’expression est d’elle, pas de ce Blanc, et elle l’utilise assez souvent). Dans les propos qui suivirent il fut question de sorcellerie, de religion et de je ne sais plus quoi d’autre, toujours avec cette idée sous-jacente de deux mondes qui se côtoient sans pouvoir ou savoir se voir. Froid/Chaud. Blanc/Noir.
Donc, le passeur. En dépit des années que j’ai passées en Afrique, et en dépit du sobriquet « d’Africain » dont on m’affuble parfois, cette distance Blanc/Noir ne semble pas vouloir s’amenuiser, sauf parfois au hasard d’une rencontre avec ceux que j’appelle les passeurs, eux* qui sont capables de laisser percevoir par l’Autre la distance d’entre ces mondes, peut-être parce qu’ils essaient, avec plus ou moins de succès, de passer de l’un à l’autre sans vouloir se défaire vraiment de l’autre ou de l’un.
C’est un exercice qui peut s’avérer frustrant, comme l’illustrent les expressions occasionnelles d’exaspération d’un de ces plus fameux passeurs, Venance Konan, écrivain (d’abord) et patron de presse (ensuite), qui se met parfois à fustiger dans ses éditoriaux ce qu’il appelle les « négreries »**, ces habitudes qu’ont beaucoup de ses concitoyens à vivre en dépit du bon sens moderne.
Blanc/Noir. Cela fait longtemps que ça dure. Y aura-t-il une ère de la couleur ? Dans cinquante ans ? Dans cinq siècles ? Je ne sais.
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