Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #119: Fabriqués des mêmes matériaux

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Il y a une expression en américain qui pourrait se traduire par quelque chose comme “faire pleuvoir sur le défilé”, c’est à dire gâcher la fête. Marco, mauvaise tête, a décidé cette semaine de faire pleuvoir. À seaux.

 

Juin. Il pleut sur Abidjan. Normal, c’est la saison des pluies. Parfois, il s’agit d’une ondée légère. A d’autres moments, c’est un véritable rideau de pluie qui tombe. Je contemple le spectacle bien au sec sur la terrasse protégée de notre cinquième étage. Je vois les passants que la pluie n’a pas arrêtés, bien qu’ils n’aient la plupart du temps ni parapluie ni vêtement de pluie. Sous ces averses drues ils sont trempés jusqu’aux os. Et ils marchent, sans doute pressés par des urgences de survie, alors que je les contemple de mon perchoir.
 
Il pleut. Des quartiers sont inondés, des pans de terrain s’effondrent avec les maisons dessus, et des gens meurent écrasés ou étouffés. Des routes partent à vau-l’eau, des camions se renversent, et des gens meurent broyés dans la tôle. Des ponts s’écroulent, isolant San Pedro, troisième ville de Côte d’Ivoire. C’est la saison des pluies. Venance Konan, éditorialiste de Fraternité-Matin, écrit:

Depuis que la Côte d’Ivoire est la Côte d’Ivoire, et même avant, chaque année, à la même période, il pleut abondamment sur la ville d’Abidjan. Et chaque année, les mêmes quartiers, les mêmes rues sont inondées. Les mêmes taudis situés toujours aux mêmes endroits s’écroulent. Les mêmes caniveaux débordent. Et parfois des gens meurent. Mais chaque année, nous sommes surpris. Donc, cette année encore, malgré les prévisions météorologiques, nous avons été fort surpris par la pluie. 

En réalité, c’est ce qu’il écrivait dans sa chronique “Nous sommes trop forts” du 23 juillet 1999. Mais comme rien n’a changé depuis, sinon dans le sens du pire, il a repris le texte pour son éditorial du 14 juin 2017.
 
Donc, la pluie tombe, comme une malédiction. La pluie tombe, effaçant la mémoire. La pluie tombe, et rien ne change. Venance Konan explique, en 2017:

Curer les caniveaux, abattre des murs qui empêchent la circulation de l’eau, dénoncer les propriétaires des maisons construites sur des caniveaux ou empêcher la construction de ces maisons sont des actions qui sont aussi à notre portée. Mais la réalité est que, simples individus, édiles municipales, gouvernants, nous sommes tous fabriqués des mêmes matériaux: ceux de l’insouciance, de l’inconscience, de l’imprévision, de l’absence de planification.

C’est le sous-développement sous la pluie. Le cliché de l’Africain insouciant, toujours prêt à rire de son propre malheur, et attendre que le soleil revienne. Car le soleil revient. Et la pluie revient. Mais des histoires d’édiles et de gouvernants inconscients et imprévoyants, je peux aussi vous en tirer des kilomètres de la presse européenne. Ou américaine. Ou chinoise. Mais en Europe, aux Etats-Unis ou en Chine, des institutions – imparfaites certes – ont été érigées pour freiner et contrecarrer l’insouciance et l’imprévoyance, la cupidité et la courte-vue. Là-bas aussi il pleut, la-bas aussi les inondations viennent. Et elles viendront plus fortes, plus fréquentes, car dans le confort de nos habitations chauffées et climatisées, au volant de nos voitures qui conduisent toutes seules, nous sommes “fabriqués des mêmes matériaux : ceux de l’insouciance, de l’inconscience, de l’imprévision, de l’absence de planification.” Il va pleuvoir!

 Tout Nomad’s land

 

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