Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #116: Petit périple médical
Ou de l’art d’être malade quand on est nomade
Il fait frais mais l’infirmier m’a couverte d’un drap. La douleur reflue, cette douleur qui m’a tordue pendant 3 heures et qui m’a conduite aux urgences ce vendredi soir. Encore absent, Marco, témoin impuissant de mes grimaces sur Skype m’a expressément incité à consulter un médecin. J’ai donc pris un taxi pour une clinique voisine après avoir vérifié auprès d’amis que c’était le bon endroit où aller pour une urgence. Le chauffeur était un peu inquiet de m’entendre geindre et je crois bien perturbé de me voir seule. J’ai fini par lui dire que mon mari était en mission. Ici, en Côte d’Ivoire, les malades se rendent rarement seuls à l’hôpital, une parentèle est toujours disponible. Les quelques personnes groupées devant la porte m’ont également jeté un regard de commisération: c’est quoi cette maman blanche pliée en deux sans quelqu’un pour la soutenir ?
Je ne devais pas présenter un cas bien intéressant car je n’ai pas vu débarquer Dr House et ses disciples et je n’ai subi ni interrogatoire poussé sur mon style de vie ni enquêtes subreptices dans mes placards pour dénicher la source de ma douleur. Le médecin m’a simplement dit que je subissais une nouvelle attaque de petites bêtes exotiques absolument dénuées de charme qui ont décrété 10 ans auparavant que mon corps leur convenait parfaitement comme plaine de jeux. Parfois, je les ignore, parfois je me résous à les traiter si leur exubérance dépasse les limites. A ma grande surprise, le médecin m’a spontanément donné quelques explications sur le type d’antibiotiques qu’il me prescrivait. Ici, le médecin est le grand savant à qui on ne pose pas de question car on ne comprendrait rien à ses réponses. Je suis souvent sortie de consultations très frustrée et agacée de ne pas savoir précisément ce que j’avais ou quelles seraient les précautions à prendre en cas de récidive. Mais je fantasme peut-être, faute de n’avoir jamais eu de médecin me suivant sur le long terme. Pas de Dr Sachs* qui prendrait le temps d’entendre l’histoire de mon corps.
Être malade dans un pays étranger et pas particulièrement développé présente toujours quelques incertitudes. Je choisis de m’en remettre au soignant en sélectionnant toutefois des établissements bien cotés. Quand c’est possible… J’ai dû me faire soigner une dent dans les camps de réfugiés sahraouis. J’appréhendais, pas certaine de pouvoir bénéficier d’une anesthésie locale au besoin. Une femme s’est occupée de moi et fort bien. Nous avons juste dû attendre que le générateur soit mis en route, c’est à dire qu’on trouve le carburant nécessaire. La dentiste, formée à Cuba (merci au Lider Maximo d’avoir développé une coopération médicale internationale tout à fait remarquable), était ravie de me soigner, me racontant sa frustration de ne faire qu’arracher des dents, les sahraouis attendant souvent qu’il soit trop tard.
Parfois, le contexte perturbe des circuits a priori fonctionnels. En Côte d’Ivoire, il y a six ans , j’avais dû subir un examen aux résultats potentiellement redoutables pour le diagnostic, résultats qui devaient revenir de France. Las, la crise électorale avait débuté et j’ai dû attendre deux longs mois le verdict. C’était quelque peu anxiogène.
Panoramique pour compléter ce petit tour d’horizon médical: j’ai découvert récemment sur une boîte de médicament un sticker argenté que, après quelques réflexions, j’ai attribué à la lutte contre la contrefaçon. J’ai fait des recherches: il s’agit d’étiquettes RFID (Radio Frequency Identification), un des moyens d’assurer la traçabilité des médicaments. En Côte d’Ivoire, comme dans la plupart des pays en développement, les faux médicaments, les médicaments périmés vendus à l’unité et les prescriptions fantaisistes sont un fléau national; selon un ancien président du Conseil de l’Ordre des Pharmaciens, le marché des médicaments contrefaits représenterait environ 30% des médicaments vendus dans le pays. A Abidjan il y a un mois, plus de 150 policiers ont investit le grand marché du quartier d’Adjamé, plaque tournante du trafic**. Outre, les pertes économiques résultant de ces contrefaçons ou de cette vente sauvage, les pertes humaines sont intolérables. Ici comme ailleurs. Ce matin, un reportage de BBC Afrique annonçait la mort de 15 enfants au Niger suite à l’utilisation d’un lot de faux vaccins.
*Je viens de lire avec plaisir « La maladie de Sachs » de Martin Winckler dont j’avais déjà apprécié Le choeur des femmes. Ce roman raconte la pratique d’un médecin de campagne qui donne envie d’être malade. Dans un registre similaire mais plus centré sur la douleur d’une femme dont le conjoint est en mort cérébrale, je ne résiste pas à faire l’éloge d’un joli émoi littéraire, dévoré ce matin, « Le cri des anges » d’Amélie Cornu, le texte d’une pièce qu’elle a jouée récemment à Paris.
► nous écrire: desmotsdeminuit@francetv.fr
Articles Liés
- Marco & Paula : Carnets d'ailleurs #16: Paula dans l'entre-deux...
La vie nomade, ce n'est pas seulement le lointain et l'exotique, les bagages et les…
- Les Carnets d'ailleurs de Marco & Paula #118: La complainte de Paula en Abidjan
Certes, Abidjan n'est pas l'Alaska. Mais les offres d'emploi y sont tout autant source de…
- Carnets d'ailleurs de Marco & Paula #73: "Lola ya Paula"
"Lola ya Paula" (le paradis de Paula, en lingala*). Après deux heures passées à réunir…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052680Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...