Eau argentée – Ossama Mohammed & Wiam Simav Bedirxan (Syrie) – 1h43
De ce patchwork sanglant, Ossama Mohammed décide de faire un tout, lui qui, pour tromper sa frustration, en est réduit à filmer le ciel, la lune, la pluie ou le métro parisien. Mais son projet change quand il entre par hasard en contact sur Facebook avec une jeune cinéaste en devenir qui depuis trois ans capte le quotidien de Homs, sa ville assiégée et massacrée. Elle s’appelle Wiam Simav Bedirxan -Simav, le prénom kurde signifie « eau argentée« -. Avec ses images et son langage cinématographique qui collent bien aux envies de Mohammed, elle devient coréalisatrice du film. Et prend le relai des images du web, avec une caméra encore incertaine mais aux intentions déterminées et sans sentences: juste témoigner de l’horreur en même temps que de l’espoir. Ainsi, elle filme une école qu’elle a « inventée« , on la voit faire la classe à des gamins dans une rue bordée d’immeubles en ruines. Ou des animaux domestiques estropiés et faméliques errant à la recherche d’une improbable pitance.
C’est elle, Simav, cette « eau argentée« , qui va donner au film sa résonnance symbolique et sa force en suivant un bambin, Omar. Son père est mort, il fleurit sa tombe en lui parlant gaiment. Le bout de chou se balade dans les décombres de Homs, une mitraillette-jouet en bandoulière, s’émerveille d’un coquelicot qui a poussé dans les décombres et s’amuse de la course qu’il faut faire entre deux bâtiments pour cause de sniper. Enfant de la guerre, il n’a connu que les bombes, les morts et la désolation, il est pourtant radieux. Comme tous les enfants.
« Eau argentée » est une œuvre difficile, éprouvante mais indispensable. Ça n’est pas un film de guerre, en dépit de ses images parfois insoutenables. Il n’est ni démonstratif ni même a priori politique. On osera dire que c’est un poème épique bouleversant, imaginant au passage une nouvelle forme de documentaire cinématographique.
Les artistes sont aussi de nécessaires combattants de la liberté contre la barbarie. Picasso avait peint Guernica, Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedikrxan proposent avec « Eau argentée » une représentation décalée mais douloureuse du martyr de la Syrie.
En Australie, depuis deux siècles, c’est une autre forme de guerre qui se livre entre les aborigènes et l’homme blanc. Plus perfide, moins spectaculaire, on n’emploie pas de bombes. Plus sournoise, le colon appellerait désormais cela des opérations de maintien de l’ordre. Un ordre blanc imposé à une population indigène dont les ancêtres habitaient le vaste territoire il y a quand même déjà au moins 40 000 ans.
Ainsi Charlie, la soixantaine burinée, tignasse grisonnante et visage dévoré par une barbe de bon aloi. Il vit dans une petite ville jadis fondée de toutes pièces en territoire aborigène. Un homme généreux et drôle, il vit avec peu, partagé entre sa bonne humeur et une résignation face à des règles qu’il n’a jamais partagées. Pour les flics locaux, il fait figure d’original, son bon sens et son instinct peuvent rendre service, mais il faut surveiller l’original (en effet des origines). Ainsi, lorsqu’il rentre d’une partie de chasse avec un copain, on confisque son gibier –un énorme buffle–, la voiture qui le transportait et les fusils. Pas d’autorisation de port d’arme, il se construit une lance dans une branche qu’il a affûtée, elle sera pareillement saisie.
Charlie en a marre de ces vexations au nom d’une loi qu’il ne veut pas comprendre, il préfère la bonne viande de buffle aux produits sans saveur du supermarché, il en a surtout marre d’être un étranger sur sa propre terre. Il décide de partir, ailleurs, plus loin de cette ville artificielle, il se retire dans le bush, là où il veut retrouver les esprits de ses ancêtres. Pour cause de santé défaillante, les bons blancs et leurs hôpitaux le rattraperont et le jetteront dans la grande ville où tant des siens vivent en Sdf perdus et aliénés par l’alcool. Le début d’une descente aux enfers.
Charlie’s Country est un film engagé, mais sa force c’est de ne pas être militant, il est sincère. La très bonne idée c’est d’avoir engagé pour le rôle-titre David Gulpilil, un vrai comédien, un vrai aborigène. On l’a vu dans Storm Boy, dans Crocodile Dundee et même dans L’étoffe des héros. Dans son doute entre deux cultures qui n’ont rien à voir et s’opposent, l’homme s’est parfois lui-même perdu dans de sévères errances, il sait donc de quoi ce film parle. Pour autant ça n’est pas un biopic de Gulpilil, mais Charlie est complètement habité de sa vie et de ses doutes, de sa révolte. Une authenticité que l’on retrouve dans les dialogues qui n’étaient pas écrits dans le scenario par ailleurs très précis qu’il a co-écrit avec le réalisateur, Rolf de Heer (Ten canoes, Bad Boy Bubby). Tellement convaincant que David Gulpilil a obtenu le prix du meilleur acteur à Cannes -Un Certain Regard- en 2014.
Comme pour les indiens d’Amérique, le massacre culturel est toujours en cours, les rescapés ne s’en sortiront qu’au prix de se plier, dans des réserves, comme des zoos, aux règles de ce qu’il est convenu d’appeler le nouveau monde, mondialisé, blanc et financier.
Les étranges et magnifiques peintures aborigènes sont exposées dans les grands musées. Leur envoûtant pointillisme, disent leurs artistes, est une traduction de leurs rêves, le rêve thème central de la culture aborigène. Pour oublier le cauchemar qui leur est imposé?
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