Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula # 58 : la vie en noir et blanc.
C’est épidermique, Paula n’est pas noire, mais blanche. Et être blanche, c’est une situation qu’on ne peut jamais oublier en Afrique. Au même titre, d’ailleurs, que c’est une situation qu’on ne peut jamais oublier quand on est noir en dehors de l’Afrique.
Quand je suis au milieu de mes collègues, tous embarqués dans la même aventure (mener à bien nos projets), je n’ai aucunement la sensation d’être « la blanche ». Ma position de chef de mission est liée à mes expériences, mes formations, mes compétences. Mon recrutement s’est fait par téléphone sans vidéo, et il n’y pas de photo sur mes CV. J’aurais pu être noire, rouge, ou même bleue d’avoir trop porté l’indigo des Touaregs pendant mes années sahariennes.
Mais parfois, un collègue me rappelle que je suis blanche, à l’instar de cet administrateur qui m’a conseillée d’être absente un jour que des officiels d’une administration venaient nous inspecter. J’ai compris que trouver là une blanche les aurait poussés à pinailler dans l’espoir de plus nous taxer. Il l’a dit sobrement :
S’ils voient une blanche….
C’est ainsi que, pour être blanche, ici comme ailleurs sur ce continent, je suis taxée, au prétexte que ma couleur de peau implique que je suis riche, ou en tout cas plus riche. C’est certainement vrai, relativement. Donc, même si je ne roule pas en Bentley comme certains kinois pur jus, que ce soit pour un ananas ou n’importe quel article sans étiquette, je paie l’impôt de peau.
En Côte d’Ivoire, les gamins du quartier m’appelaient « la blanche », ce que je trouvais plus agréable que « Hé! La vieille ». Après tout, ne sachant pas mon nom, ils m’interpellaient par la caractéristique physique la plus visible pour eux, ma couleur de peau, et, avec ma voisine, nous étions les deux seules blanches du voisinage. Ici, dans les quartiers populaires de Kinshasa, les gens m’interpellent en lançant un « Mundele » plutôt bon enfant.
Ce rappel insistant qui vous colle à la peau, Ryszard Kapusciński l’a fort bien exprimé, dans La guerre du foot et autres guerres et aventures.
Il fut un temps où les livres sur l’Afrique m’irritaient : il n’y était question que de blanc et de noir. Le blanc et le noir y étaient traités en long et en large. J’ai fini par me rendre sur place. Et j’ai compris. D’emblée on est catalogués. A peine débarqué la peau vous démange. Ou elle vous fait souffrir. Ou elle vous met en valeur. L’homme ne peut en faire abstraction. Elle l’empêche de vivre. Il ne peut exister comme un être normal. Il est toujours ou plus haut, ou plus bas, ou de côté. Mais il n’est jamais à sa place.
Pas à ma place ; c’est ce que je me suis entendu dire à Brazzaville, lors d’une rencontre organisée par le Centre culturel américain. L’écrivain invité était afro-américain. Il était noir. Il était black. Il ne cessait d’en parler, alors même que toute son assistance l’était également. Sauf moi. Je m’ennuyais ferme, car je voulais l’entendre parler de ses romans, pas de la couleur de sa peau. Il m’a sorti de ma somnolence en m’interpellant pour me demander ce que je faisais là. Bref, il m’a fait la peau…
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