Comme le dit Proust, l’amour, même le plus exclusif, est toujours amour d’autre chose et il n’y a pas d’amour de l’autre qui ne soit d’abord amour de soi.
Comme je traverse l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière presque tous les jours pour aller à la BNF, j’ai fini par décider de faire un don de sang. Guidée par les panneaux « Ici on donne son sang« , je me suis dirigée vers le pavillon Laveran où un médecin jeune et sympa, à l’embonpoint rassurant, m’a fait une prise de sang avant de me convaincre que ma forme éblouissante me permettait de donner non seulement mon sang, mais mes plaquettes. Je n’y voyais pas d’inconvénient particulier, d’autant que je n’ai pas la moindre idée de ce que peuvent être des plaquettes, mais il faut tout de même compter deux heures pour l’opération. Du coup, on a pris rendez-vous pour ce mercredi 27 mai, à 9h du matin.
En passant devant le pavillon Cordier, même s’il s’agit du médecin (Gaston) et pas du résistant (Daniel), je réalise avec un peu de fierté qu’on est justement le jour de la panthéonisation des quatre résistants, Jean Zay, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Loin de moi l’idée de rapprocher un don du sang et les tortures de la Gestapo ou de la déportation, mais je me dis que mes mystérieuses plaquettes sauveront peut-être un grand blessé de la route, quelqu’un de sympa dont la mort aurait à jamais dévasté la famille. Bon, quand l’infirmière approche la petite piqûre, on se raconte les histoires qu’on peut.
Au début, tout est plutôt sympa. On me propose de choisir un DVD dans une grande armoire, j’avais emporté Proust pour ne pas perdre mon temps mais une coalition d’infirmières horrifiées me déconseille fortement de m’y plonger, « pour ne pas avoir mal au cœur« . J’hésite à leur répondre que Proust ne me donne jamais mal au cœur, mais après tout je ne l’ai jamais lu en donnant mes plaquettes donc on ne sait pas ce qui peut arriver, ça serait dommage que j’en sois dégoûtée alors que mon plan de thèse vient d’être validé. J’hésite entre Étreintes brisées d’Almodovar et Les Infidèles avec Dujardin et Lellouche, mais je décide finalement de voir les infos pour suivre cette panthéonisation historique.
En passant devant le pavillon Cordier, même s’il s’agit du médecin (Gaston) et pas du résistant (Daniel), je réalise avec un peu de fierté qu’on est justement le jour de la panthéonisation des quatre résistants, Jean Zay, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Loin de moi l’idée de rapprocher un don du sang et les tortures de la Gestapo ou de la déportation, mais je me dis que mes mystérieuses plaquettes sauveront peut-être un grand blessé de la route, quelqu’un de sympa dont la mort aurait à jamais dévasté la famille. Bon, quand l’infirmière approche la petite piqûre, on se raconte les histoires qu’on peut.
Au début, tout est plutôt sympa. On me propose de choisir un DVD dans une grande armoire, j’avais emporté Proust pour ne pas perdre mon temps mais une coalition d’infirmières horrifiées me déconseille fortement de m’y plonger, « pour ne pas avoir mal au cœur« . J’hésite à leur répondre que Proust ne me donne jamais mal au cœur, mais après tout je ne l’ai jamais lu en donnant mes plaquettes donc on ne sait pas ce qui peut arriver, ça serait dommage que j’en sois dégoûtée alors que mon plan de thèse vient d’être validé. J’hésite entre Étreintes brisées d’Almodovar et Les Infidèles avec Dujardin et Lellouche, mais je décide finalement de voir les infos pour suivre cette panthéonisation historique.
Regarder le journal télévisé dès le matin, c’est une très bonne motivation quand on hésite à donner son sang: des migrants à bout de forces appellent en vain l’aide et la pitié de la communauté internationale, des combats acharnés opposent le régime syrien aux Palestiniens du camp de Yarmouk, Pierre Brossolette saute par la fenêtre pour mettre un terme aux tortures que lui inflige la Gestapo et nous laisse un ultime espoir en l’humanité. J’attends sereinement que la machine fasse son travail, mais elle commence à sonner de manière inquiétante: mon sang ne coule pas assez vite, je dois presser de plus en plus énergiquement le petit ballon qu’on a placé dans ma main gauche. L’infirmière me met une couverture puis une bouillote pour favoriser l’opération en évitant que je me refroidisse, mais la machine n’arrête pas de sonner. Ça devient un vrai petit exercice de musculation, c’est dur d’être un héros.
Je regarde autour de moi qui sont ces autres qui se succèdent pour des dons du sang, du plasma ou des plaquettes, plus rares puisqu’il faut pouvoir bloquer deux heures en pleine journée. Des mères de famille ou des cathos de bonne volonté, des chômeurs qui ont besoin de se sentir utiles pour conserver un peu d’estime de soi, des étudiants mal-nourris attirés par la collation? Dans la salle de restauration, mon voisin prend un deuxième pain au chocolat pendant que je bois un jus de pomme: il doit avoir à peine vingt ans et ne me semble pas rouler sur l’or.
Si je n’étais pas passée quotidiennement devant ces panonceaux « Ici, on donne son sang« , la probabilité que je bloque deux heures pour aller donner mes plaquettes aurait été quasiment nulle. Si ce n’est peut-être par solidarité avec mon père, qui a été dialysé pendant plusieurs mois, à cause d’une insuffisance rénale au stade terminal, avant que mon oncle ne lui donne un rein il y a exactement trois ans.
Et si ce n’est aussi que ma petite sœur, qui est interne en hémato-cancérologie, m’a raconté ce cas d’un mec de 25 ans dont la leucémie a été découverte parce qu’il avait donné son sang. Le laboratoire d’analyses a détecté des anomalies dans le sang prélevé, ce qui a permis à ma petite sœur de l’hospitaliser illico pour une première chimio avant que les symptômes n’aient commencé à apparaître. Aujourd’hui, ce patient est en rémission complète.
Alors comme le dit Proust, l’amour, même le plus exclusif, est toujours amour d’autre chose et il n’y a pas d’amour de l’autre qui ne soit d’abord amour de soi. Je donne mon sang par solidarité avec mon père, mais également par égoïsme bête et méchant. Donner son sang, c’est la meilleure manière de se protéger au fond.
Je regarde autour de moi qui sont ces autres qui se succèdent pour des dons du sang, du plasma ou des plaquettes, plus rares puisqu’il faut pouvoir bloquer deux heures en pleine journée. Des mères de famille ou des cathos de bonne volonté, des chômeurs qui ont besoin de se sentir utiles pour conserver un peu d’estime de soi, des étudiants mal-nourris attirés par la collation? Dans la salle de restauration, mon voisin prend un deuxième pain au chocolat pendant que je bois un jus de pomme: il doit avoir à peine vingt ans et ne me semble pas rouler sur l’or.
Si je n’étais pas passée quotidiennement devant ces panonceaux « Ici, on donne son sang« , la probabilité que je bloque deux heures pour aller donner mes plaquettes aurait été quasiment nulle. Si ce n’est peut-être par solidarité avec mon père, qui a été dialysé pendant plusieurs mois, à cause d’une insuffisance rénale au stade terminal, avant que mon oncle ne lui donne un rein il y a exactement trois ans.
Et si ce n’est aussi que ma petite sœur, qui est interne en hémato-cancérologie, m’a raconté ce cas d’un mec de 25 ans dont la leucémie a été découverte parce qu’il avait donné son sang. Le laboratoire d’analyses a détecté des anomalies dans le sang prélevé, ce qui a permis à ma petite sœur de l’hospitaliser illico pour une première chimio avant que les symptômes n’aient commencé à apparaître. Aujourd’hui, ce patient est en rémission complète.
Alors comme le dit Proust, l’amour, même le plus exclusif, est toujours amour d’autre chose et il n’y a pas d’amour de l’autre qui ne soit d’abord amour de soi. Je donne mon sang par solidarité avec mon père, mais également par égoïsme bête et méchant. Donner son sang, c’est la meilleure manière de se protéger au fond.
A suivre.
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