On a beau dire qu’il faut devenir adulte et travailler pour soi, quelques encouragements restent comme les mots d’amour de nos milieux professionnels : ils ne gâchent jamais rien.
Après dix jours d’attente, l’extase, ma directrice m’a enfin répondu. Je vois évidemment son mail sur mon portable, puisque je le regardais trois ou quatre fois par heure depuis dix jours, et je passe les trois minutes les plus fébriles de ma vie en attendant que mon téléphone charge le message.
L’attente, Proust et ses lecteurs en connaissent pourtant un rayon. Comme le dit Nicolas Grimaldi sur France Inter, dans une émission d' »Un été avec Marcel Proust » que je podcaste un soir en cuisinant, « l’attente est la vie même de la conscience » dans la Recherche du temps perdu qui ne nous parle donc que de ça: l’attente du baiser de Maman (j’ai remarqué que les proustiens disent presque tous « Maman » pour désigner la mère du héros, et non « sa mère » ou « la mère« , ce que je trouve assez délicieusement régressif et révélateur – d’une identification presque pathologique au héros? d’une incapacité à tuer leur propre mère?), l’attente de l’amour et des lettres de Gilberte qui viennent toujours trop tard, l’attente des voyages et de l’inspiration qui permettra de créer, et puis l’attente de trouver le temps d’écrire avant que la vieillesse et la mort ne mettent un terme à tout ce temps perdu.
L’attente est un peu douloureuse (c’est le moins qu’on puisse dire) pour Swann comme pour Marcel, mais elle a l’avantage d’aiguiser l’intelligence et le sens de l’observation, de rendre attentif à tout ce qui nous aurait sans cela échappé. Lorsque Marcel passe la soirée à espérer le coup de téléphone d’Albertine, son hyper-sensibilité atteint un paroxysme d’acuité… Et comme on le sait tous, c’est l’absence ou la fuite de l’être aimé qui créent l’amour et qui font donc le sel de la vie: faites-vous désirer, vous serez adoré. Attendre ou faire attendre, ça serait donc toujours pour la bonne cause, d’autant que Proust, en bon élève de Schopenhauer, nous montre que lorsqu’on n’attend plus (mais est-ce seulement possible ?), on s’ennuie à mourir.
Nicolas Grimaldi suggère aussi de sa voix douce qu’au cœur de l’attente proustienne se cache l’attente d’exister pour autrui, « de manière à avoir dans autrui cette réalité dont je manque. » Evidemment, une réponse enthousiaste de ma directrice serait une bonne manière de me sentir exister professionnellement pour autrui – d’ailleurs le héros de la Recherche, même s’il est rentier, n’a pas que des attentes érotiques, il connaît lui aussi les affres des attentes « professionnelles » en espérant pendant des mois qu’un de ses articles sera publié dans Le Figaro, et il se réveille chaque matin avec le délicieux frisson d’espoir de voir son nom en première page.
Alors pendant ces trois minutes d’attente, tandis que mon téléphone charge le message fatidique qui m’annoncera si mon plan est officiellement validé ou si ma nullité a été démasquée, je me dis que les giboulées de cette semaine ont été à l’image des intermittences de mon attente, une alternance d’angoisse et d’espoir, de soleil et de pluie battante.
Le message s’affiche enfin et un bel arc-en-ciel (un vrai !!) vient couronner comme un sourire cette journée de la délivrance: « Chère A., ce fut un vrai plaisir de lire ton plan! Voyons-nous dans la semaine pour en discuter dans le détail, mais tu peux commencer à rédiger: tout est déjà bien mis en forme et ça me paraît de très bon augure. »
L’attente, Proust et ses lecteurs en connaissent pourtant un rayon. Comme le dit Nicolas Grimaldi sur France Inter, dans une émission d' »Un été avec Marcel Proust » que je podcaste un soir en cuisinant, « l’attente est la vie même de la conscience » dans la Recherche du temps perdu qui ne nous parle donc que de ça: l’attente du baiser de Maman (j’ai remarqué que les proustiens disent presque tous « Maman » pour désigner la mère du héros, et non « sa mère » ou « la mère« , ce que je trouve assez délicieusement régressif et révélateur – d’une identification presque pathologique au héros? d’une incapacité à tuer leur propre mère?), l’attente de l’amour et des lettres de Gilberte qui viennent toujours trop tard, l’attente des voyages et de l’inspiration qui permettra de créer, et puis l’attente de trouver le temps d’écrire avant que la vieillesse et la mort ne mettent un terme à tout ce temps perdu.
L’attente est un peu douloureuse (c’est le moins qu’on puisse dire) pour Swann comme pour Marcel, mais elle a l’avantage d’aiguiser l’intelligence et le sens de l’observation, de rendre attentif à tout ce qui nous aurait sans cela échappé. Lorsque Marcel passe la soirée à espérer le coup de téléphone d’Albertine, son hyper-sensibilité atteint un paroxysme d’acuité… Et comme on le sait tous, c’est l’absence ou la fuite de l’être aimé qui créent l’amour et qui font donc le sel de la vie: faites-vous désirer, vous serez adoré. Attendre ou faire attendre, ça serait donc toujours pour la bonne cause, d’autant que Proust, en bon élève de Schopenhauer, nous montre que lorsqu’on n’attend plus (mais est-ce seulement possible ?), on s’ennuie à mourir.
Nicolas Grimaldi suggère aussi de sa voix douce qu’au cœur de l’attente proustienne se cache l’attente d’exister pour autrui, « de manière à avoir dans autrui cette réalité dont je manque. » Evidemment, une réponse enthousiaste de ma directrice serait une bonne manière de me sentir exister professionnellement pour autrui – d’ailleurs le héros de la Recherche, même s’il est rentier, n’a pas que des attentes érotiques, il connaît lui aussi les affres des attentes « professionnelles » en espérant pendant des mois qu’un de ses articles sera publié dans Le Figaro, et il se réveille chaque matin avec le délicieux frisson d’espoir de voir son nom en première page.
Alors pendant ces trois minutes d’attente, tandis que mon téléphone charge le message fatidique qui m’annoncera si mon plan est officiellement validé ou si ma nullité a été démasquée, je me dis que les giboulées de cette semaine ont été à l’image des intermittences de mon attente, une alternance d’angoisse et d’espoir, de soleil et de pluie battante.
Le message s’affiche enfin et un bel arc-en-ciel (un vrai !!) vient couronner comme un sourire cette journée de la délivrance: « Chère A., ce fut un vrai plaisir de lire ton plan! Voyons-nous dans la semaine pour en discuter dans le détail, mais tu peux commencer à rédiger: tout est déjà bien mis en forme et ça me paraît de très bon augure. »
A suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
La page facebook de Des Mots de Minuit. Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- Lettres ou ne pas être #7: cinéma
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #13: lapin
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #16: folie
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
Lettres ou ne pas être #114: gratuité
23/12/2016Lettres ou ne pas être #112: Rentrée
30/09/2016
Laisser une réponse Annuler la réponse
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052860Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...