« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
À la fac de R., j’ai maintenant un nouvel ange gardien. Il vient d’être élu maître de conférences, à une époque où les postes sont rares (ce qui est faible comme euphémisme). Et le comble, c’est que la rumeur raconte que deux Universités se le sont même disputé en juin dernier –c’est presque difficile à croire à l’heure où pour chaque poste, il y a cinquante docteurs, en général normaliens et agrégés, qui sont en lice pour décrocher le gros lot depuis au moins (et là encore c’est un euphémisme pudique) deux ou trois ans.
Donc il est très brillant, et authentiquement bienveillant avec les doctorants qui doivent, au fond, lui rappeler le bon vieux temps puisqu’il était encore des nôtres il y a quelques mois, avant de soutenir une thèse dont tout le monde a parlé. Bref depuis qu’il est là, j’ai décidé d’écouter ses conseils, et je ne m’en porte pas plus mal.
Premier conseil : il a commencé à rédiger assez tôt, et ça, je trouve que c’est plutôt réconfortant. Ça change des vieux de la vieille qui entretiennent leur légende en déconseillant avec un ton apocalyptique de rédiger la moindre ligne avant la quatrième année, du genre : « Ne commets pas la même erreur que moi, qui ai commencé à écrire dès le début de ma troisième année… J’ai envoyé soixante pages à mon directeur de thèse qui a été catégorique : il faut tout réécrire. »
Deuxième conseil : ne jamais laisser passer une journée sans faire quelque chose pour sa thèse. Même quand je décide de consacrer ma journée à préparer un cours ou à corriger des copies à la chaîne en buvant des litres de café, passer au moins une heure et demie sur mon corpus, sur une sous-partie, sur la formulation d’une problématique, bref ne jamais décrocher.
Troisième conseil : inutile de multiplier les journées d’études, de courir les colloques, de s’épuiser à résauter de Marseille à Strasbourg. Un bel article ou une communication audacieuse par an, dans un cadre prestigieux (revue réputée, colloque international…) pèsera davantage qu’une dispersion de ses forces. Ce conseil là me réjouit un peu moins, puisque j’ai déjà pris plein d’engagements pour des journées d’études en 2015, en me disant que chaque intervention deviendrait une petite partie de ma thèse.
Disons que ça rejoindra le conseil n°1, rédiger assez tôt.
Dans ces conseils, c’est le n°2 que je préfère, parce qu’il est très vite assez valorisant, comme le jogging: un jour, j’ai décidé qu’il valait mieux courir 10 mn que pas du tout, et assez vite j’ai réussi à courir 20 mn, puis 30 mn, puis 40 mn… Bon c’était avant de commencer ma thèse, on ne peut pas non plus laisser l’autocontrainte obsessionnelle envahir toutes les sphères de sa vie.
Quoique parfois, je me dis que pour réussir ma thèse, il me faudrait une bonne conversion à la Carrère pendant quelques mois. En septembre, j’ai lu Le Royaume et j’ai été fascinée par l’exercice spirituel qu’il s’impose: méditer chaque jour un verset de l’évangile de Jean, quelle que soit sa difficulté, et le commenter en quelques lignes soigneusement inscrites dans un petit carnet. Comme j’ai recommencé à aller à la BNF, quand je bute sur chaque phrase d’un bouquin de philo ou de stylistique, je pense à Carrère et à sa méditation zen sur les versets apocalyptiques, et bizarrement, ça me met un peu de baume au cœur.
Et puis quand je remonte à la surface de la BNF, quand je vois les immeubles d’Accenture illuminés, la file d’étudiants affamés qui attendent devant les camions de rue et le MK2 Bibliothèque qui m’ouvre les bras, je me dis que c’est cool une soirée dans le quartier de la BNF, une fois qu’on a poussé l’autocontrainte jusqu’à son point limite, au-delà duquel on deviendrait vraiment un psychopathe.
À suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
La page facebook des mots de minuit, une suite… Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Donc il est très brillant, et authentiquement bienveillant avec les doctorants qui doivent, au fond, lui rappeler le bon vieux temps puisqu’il était encore des nôtres il y a quelques mois, avant de soutenir une thèse dont tout le monde a parlé. Bref depuis qu’il est là, j’ai décidé d’écouter ses conseils, et je ne m’en porte pas plus mal.
Premier conseil : il a commencé à rédiger assez tôt, et ça, je trouve que c’est plutôt réconfortant. Ça change des vieux de la vieille qui entretiennent leur légende en déconseillant avec un ton apocalyptique de rédiger la moindre ligne avant la quatrième année, du genre : « Ne commets pas la même erreur que moi, qui ai commencé à écrire dès le début de ma troisième année… J’ai envoyé soixante pages à mon directeur de thèse qui a été catégorique : il faut tout réécrire. »
Deuxième conseil : ne jamais laisser passer une journée sans faire quelque chose pour sa thèse. Même quand je décide de consacrer ma journée à préparer un cours ou à corriger des copies à la chaîne en buvant des litres de café, passer au moins une heure et demie sur mon corpus, sur une sous-partie, sur la formulation d’une problématique, bref ne jamais décrocher.
Troisième conseil : inutile de multiplier les journées d’études, de courir les colloques, de s’épuiser à résauter de Marseille à Strasbourg. Un bel article ou une communication audacieuse par an, dans un cadre prestigieux (revue réputée, colloque international…) pèsera davantage qu’une dispersion de ses forces. Ce conseil là me réjouit un peu moins, puisque j’ai déjà pris plein d’engagements pour des journées d’études en 2015, en me disant que chaque intervention deviendrait une petite partie de ma thèse.
Disons que ça rejoindra le conseil n°1, rédiger assez tôt.
Dans ces conseils, c’est le n°2 que je préfère, parce qu’il est très vite assez valorisant, comme le jogging: un jour, j’ai décidé qu’il valait mieux courir 10 mn que pas du tout, et assez vite j’ai réussi à courir 20 mn, puis 30 mn, puis 40 mn… Bon c’était avant de commencer ma thèse, on ne peut pas non plus laisser l’autocontrainte obsessionnelle envahir toutes les sphères de sa vie.
Quoique parfois, je me dis que pour réussir ma thèse, il me faudrait une bonne conversion à la Carrère pendant quelques mois. En septembre, j’ai lu Le Royaume et j’ai été fascinée par l’exercice spirituel qu’il s’impose: méditer chaque jour un verset de l’évangile de Jean, quelle que soit sa difficulté, et le commenter en quelques lignes soigneusement inscrites dans un petit carnet. Comme j’ai recommencé à aller à la BNF, quand je bute sur chaque phrase d’un bouquin de philo ou de stylistique, je pense à Carrère et à sa méditation zen sur les versets apocalyptiques, et bizarrement, ça me met un peu de baume au cœur.
Et puis quand je remonte à la surface de la BNF, quand je vois les immeubles d’Accenture illuminés, la file d’étudiants affamés qui attendent devant les camions de rue et le MK2 Bibliothèque qui m’ouvre les bras, je me dis que c’est cool une soirée dans le quartier de la BNF, une fois qu’on a poussé l’autocontrainte jusqu’à son point limite, au-delà duquel on deviendrait vraiment un psychopathe.
À suivre.
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