J’avais du temps, je rêvais d’espace et de mouvements… Je me retrouve coincé dans une boîte volante… Au dessus d’un désert.
L’affaire débute à Montrouge, dans la banlieue parisienne, après un rendez-vous qui ressemblait à une partie de poker. Ce premier entretien se déroule dans les locaux d’un client. Une agence de communication m’avait contacté pour une opération avec un « gros client ». C’était la première fois que je le voyais: grand, sec, cheveux courts. Ce jour-là, il portait un costume trois pièces, bleu marine à fines rayures blanches, une chemise bleu ciel à col blanc, boutons de manchettes. Chic, sec et trois quarts d’heure de retard avec épingle à la cravate. C’était E.D. L’autre celui que allions rejoindre, un homme ayant un peu la physionomie de Kojak -appelons le M. D.C.- portait lui aussi un gilet sous la veste. Les présentations sont faites rapidement; je viens en soutien de l’agence pour vendre un projet dans lequel des images pourraient être intégrées. L’entretien se déroule sur un ton un peu sec avec le gars de l’agence de communication. Ca taquine un peu. Personne ne m’a encore adressé la parole. E.D. s’empare du dossier photos que j’avais conçu pour le rendez-vous, le consulte, fait une ou deux remarques sur des images de modèles féminins, ferme le dossier en le claquant et dit simplement, en fixant M. D.C. placé juste face à lui: « maintenant que nous savons que le photographe a de l’humour! » L’entretien est terminé. Il n’a toujours pas tourné la tête vers le gars de la « com » ni vers moi d’ailleurs. Il ne cesse de regarder M. D.C. en souriant. E.D. a un profil taillé à la serpe. Son menton est parcouru de fines cicatrices. Je ne vois qu’un côté de son sourire, j’imagine que l’autre est réservé au gars de la « com »: c’est un joueur. C’est évident. Un joueur de poker. Ses yeux bleus sont fixés dans les yeux sombres de son partenaire de jeu. Il ne cille pas. Ses mains sont toujours posées sur le dossier maintenant refermé.
Le gars de la « com » ne dit toujours rien et je n’ai presque pas entendu la voix de M. D.C.
Je coupe ce silence en disant: qui paye ?
E.D. ne bouge pas plus en répondant: « l’agence ! Rendez-vous à Toulon! ».
Je n’étais resté que cinq minutes assis à cette table, il ne restait plus que trois hommes. Maintenant que je savais que j’avais de l’humour…
L’affaire de Toulon fut faite avec le meilleur briefing qu’un photographe puisse avoir, du type « éclates-toi ! ». Ce que j’ai fait.
Peu de temps après mon intervention à Toulon, je reçois un coup de fil en direct de E.D. D’habitude ce genre de type passe par une agence pour contacter des photographes.
« – Salut c’est E.D.… Tu as déjà sauté en parachute ?
– Non.
– On part dans un mois au Maroc, je te donne le nom d’une autre agence.
– …!? »
Pour préparer ce reportage au Maroc qui consiste à suivre une équipe de jeunes, hommes et femmes, qui devra faire un saut en parachute en tandem à partir d’un petit aérodrome dans la région du Souss au Nord d’Agadir, je contacte la Fédération Française de Parachutisme, je souhaite rencontrer un photographe spécialisé dans des images de chutes libres. Discuter. Découvrir l’univers de ce sport. On me donne le nom de Michel Pissote. Je prends rendez-vous avec ce photographe-cinéaste de renom. À son actif, de nombreux films publicitaires tournés en l’air, des cascades de films tournés en caméra 35 mn pour un célèbre numéro 7 et des images en chute libre. Je rencontre ce dandy des airs à l’aérodrome de Péronne dans la Somme. Premier rendez-vous, premier coup d’adrénaline. Michel passera environ deux heures à me parler de son métier, tout en parcourant les hangars ou se préparent des hommes et des femmes, mettant au point les derniers réglages des figures qu’ils vont réaliser à plus de 4000 mètres. Le temps n’est pas fameux ce jour-là. Des sauts sont prévus, mais seulement pour la fin de journée. Les Pilatus (avions-cargos permettant l’embarquement d’une dizaine de personnes) sont prêts à décoller. Vers 17h les moteurs ronronnent, Michel me demande si ça me tente de faire un saut en tandem. Sa proposition à peine faite, je me retrouve en combinaison jaune et quelques minutes plus tard à 4500 mètres d’altitude en chute libre. Un truc de dingue. Une semaine plus tard, j’étais à nouveau sur le tarmac. Grisé par cent-soixante kilomètres parcouru en moto à une vitesse au-delà des normes et de nouveau déguisé, je renouvelle l’opération en compagnie de Michel et tente une sortie de l’avion telle qu’un parachutiste photographe doit le faire. La tête doit être tournée vers la porte de l’avion au moment de la sortie. Il faut donc sauter dos au vide. Un autre truc de dingue. Pour ce type d’image, il faut fixer un boîtier à un casque et utiliser un déclencheur souple que l’on peut actionner à la main ou avec d’autres techniques dont celle qu’utilise aussi Michel Pissote pour manier les mots.
L’ avion prévu au Maroc pour transporter le groupe en quelques rotations à l’altitude de 4500 mètres était un petit avion-cargo de type Pilatus mais une avarie le bloque au sol. Un Cessna trouvé à la dernière minute et complètement désossé permettra de faire les rotations, mais seulement à 2500 mètres. Les limites de l’avion et l’arrivée du roi réduisent notre évolution dans l’espace aérien d’Agadir. J’aurai la possibilité de faire un saut, mais pas les images voulues. Le Cessna monte en cercles lentement, pour arriver à l’altitude voulue et larguer les parachutistes avant de redescendre pour prendre un nouveau chargement. Le rythme des sauts est très lent et il fait extrêmement chaud. Tout le monde a soif, même l’avion.
Les ravitaillements de la machine volante faits à l’aide d’une pompe à main sont longs et fastidieux, les retards s’accumulent à chaque atterrissage et diffèrent l’heure de notre retour à l’aéroport d’Agadir. L’ensemble des participants repart en bus par la route vers l’hôtel réservé pour cette dernière soirée au Maroc. Le pilote et le co-pilote bénéficieront des sièges du Cessna pour ce voyage d’une heure et demie environ. Je voyagerais pour ma part assis sur des parachutes.
Je serais pour ce vol de nuit avec deux membres de l’organisation dont M. D.C. à l’arrière de l’avion, dans un minuscule espace rempli de parachutes. Aucune chance de s’en sortir en cas de pépins. Nous arriverons tard, par les airs, de nuit à Agadir. Comme l’armée, pour protéger le roi. Les contrôles d’identité sont longs, le matériel doit-être inspecté, les hommes armés choisissent trois parachutes au hasard qu’il faudra déplier, et replier. Aucun des trois parachutes contrôlés n’était doré… De toute façon il ne l’aurait pas trouvé. E.D., le patron de la boîte qui avait commandé cette campagne de pub était à Paris…
Nul n’a su par quel chemin était passé le roi pour arriver à ses fins…
LLL. Semaine 25
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