Au delà de la « polémique Gauchet », les Rendez-vous de l’Histoire ont encore une fois rassemblé des milliers d’auditeurs venus écouter des histoires de rebelles. Entre vrais et faux rebelles, une histoire en marche et en débats.
Quand la littérature et l’économie se rebellent
Plusieurs débats, à l’Université ou au château de Blois, ont proposé des angles intéressants sur les rebelles de la littérature. Pierre Serna, Gisèle Sapiro, Catherine Millet et Grégoire Kauffmann ont par exemple évoqué différentes manières de dire non en littérature, pour promouvoir des libertés et des droits inédits, qu’il s’agisse de libertés sexuelles ou de droit au bonheur. Au XVIIIe siècle, le libertinage érudit remet en cause l’existence de dieu et diffuse un matérialisme sensuel qui trouve une force corrosive dans les romans pornographico-politiques, ces livres « qu’on ne lit que d’une main« . Souvent écrits par des anonymes, avant Sade, cette littérature séditieuse contribue à discréditer la figure royale et à préparer la Révolution.
Au XIXe siècle, Gisèle Sapiro évoque l’autonomisation du champ littéraire qui confère un nouveau statut et de nouvelles responsabilités, juridiques et politiques, à l’écrivain. Sous le IInd Empire se multiplient ainsi les procès « pour atteintes aux bonnes mœurs » contre les livres jugés subversifs dans la représentation des deux valeurs bourgeoises par excellence que sont la famille et la propriété. Le témoignage de Catherine Millet apporte une perspective très différente puisqu’elle a pu écrire La Vie sexuelle de Catherine M. en-dehors de toute censure, mais s’est finalement vue reprocher d’avoir « transgressé la transgression » en proposant un récit qui ne se voulait justement pas transgressif. Pour la directrice d’Artpress, c’est aujourd’hui par l’image et par la presse que s’expriment les rébellions, plus que par la littérature.
Le pouvoir subversif du polar a été également interrogé par François Angelier, Julie Clarini, Didier Daeninckx, Dominique Manotti et Vincent Platini. Pour les intervenants, le polar reste relativement conformiste jusqu’aux années 1980, notamment dans les représentations de genre : globalement machiste, il met en scène des figures de détectives et de criminels attachés au triomphe de l’ordre qu’ils défendent. La puissance subversive des « Krimi« , les polars qui se diffusent dans l’Allemagne nazie, est tout de même abordée par Vincent Platini qui vient de consacrer un livre à « cet angle mort » du roman policier.
Quant à Didier Daeninckx et Dominique Manotti, ils rappellent que les auteurs de romans noirs ont souvent été de vrais rebelles à leur société, à commencer par Conan Doyle, écrivain catholique en pays protestant qui prit fermement position en faveur de l’indépendance irlandaise et contre la colonisation belge au Congo. Et Dominique Manotti, qui commença sa carrière comme agrégée d’histoire et comme militante syndicale, présente elle aussi sa conversion au polar comme une manière de dénoncer, par la fiction, des évolutions politiques et économiques inquiétantes. Pour l’auteure de Bien connu des services de police, les frontières entre la criminalité et l’économie ont aujourd’hui disparu, ce qui ne peut qu’entrer en écho avec la boutade révélatrice des économistes qui réfléchissaient, la veille, aux rebelles de la théorie économique : « Nous sommes dans la Maison de la Magie d’un grand prestidigitateur, Robert Houdin, et ça tombe bien : la magie, l’illusion, les tours de passe-passe… ce sont de parfaites images de l’économie d’aujourd’hui.«
Les « Rendez-vous de l’Histoire de l’économie« , créés cette année, ont ainsi décliné plusieurs problématiques politiques et économiques au cours de débats d’un haut niveau. La présence de Steve Keen a notamment été saluée par ses pairs qui ont présenté son dernier livre, L’Imposture économique, comme un tournant dans la compréhension de la crise économique actuelle.
Des vies rebelles
Dans sa belle conférence de clôture, d’une très grande clarté, Michelle Perrot a proposé quelques aperçus de vies rebelles, en s’intéressant à trois expériences de rébellions, celle des ouvriers, celle des prisonniers et celle des femmes. Pour les ouvriers, la grève, qu’ils appellent « la rebelle » au XIXe siècle, est un moyen de pression et un mode d’expression privilégié pour tenter d’infléchir la marche de l’histoire. Les révoltes carcérales, extrêmement difficiles à mettre en œuvre, ont elles aussi pu trouver des relais puissants auprès des intellectuels comme Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach qui créèrent le GIP au début des années 1970. Enfin, la grande historienne de l’histoire des femmes s’est attardée sur quelques rébellions féminines, qui ont su conquérir l’espace public après être longtemps restées des révoltes silencieuses.
Le prix Augustin-Thierry a été remis cette année à Antoine de Baecque, pour son dernier livre publié à la « Bibliothèque des Histoires » chez Gallimard, « La Traversée des Alpes« , qui inaugure un « essai d’histoire marchée« . Jean-Noël Jeanneney a enfin annoncé le thème des prochains RV de l’Histoire : « Les Empires« . On n’ose se demander qui sera choisi pour prononcer la conférence inaugurale…
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