« Taxi Téhéran » est un grand film, pourtant l’œuvre d’un cinéaste interdit de faire des films sous peine de prison. De cette interdiction Jafar Panahi fait du génie, celui qui irradie depuis toujours son cinéma qui, dans son geste d’artiste, fictionne une réalité difficile pour mieux la documenter. Avec le sourire.
Vous le reconnaissez, vaguement caché sous sa casquette bonhomme? Oui, c’est bien lui et ceci est un film.
D’emblée Taxi Téhéran entraîne dans une mise en abîme que les instruments du cinéma savent si délicieusement parfois composer. Jafar Panahi, vrai cinéaste (mais interdit de films) est ici un faux chauffeur de taxi et ses faux clients sont de vrais acteurs -mais amateurs- qui jouent de vrais rôles de citoyens iraniens. Pas mal…
Panahi est l’un des auteurs majeurs de la nouvelle vague du cinéma iranien, depuis 20 ans les festivals de Cannes, de Berlin, de Venise et de Locarno ont sans cesse primé son cinéma.
Les autorités iraniennes, à l’inverse, détestent l’image qu’il véhicule de son pays et les tribunaux l’ont condamné à une menace de 6 ans de prison, à l’interdiction de filmer et de quitter son pays pendant 20 ans et de donner des interviews. Pas moins. Rêver d’une société plurielle imaginée par des enfants (Le ballon blanc, 1995, Le miroir, 1997), montrer une société qui a aussi ses nantis protégés (Sang et or, 2003) ou qui maltraite officiellement les femmes (Le cercle, 2000, Hors jeu, 2006), ça mérite bien d’être contraint au silence dans une « République » islamique.
Mais revenons au cinéma, voici comment en faire, du pur, du magique. Panahi qui ne peut se résoudre à ne plus faire son métier qui est sa vie, installe un dispositif de filmage bricolé dans son faux taxi, il y convoque de faux clients, aussi divers que hauts en couleurs qui vont autant nous faire rire que dire un état de la société iranienne, ça c’est moins drôle. Un gros macho simpliste qui veut envoyer les petits voleurs à la potence pour en faire « des exemples« : à l’arrière de la voiture, une femme que l’on croit d’abord intégriste le ridiculise. Un vendeur clandestin de dvd étrangers qui célèbre son amour du cinéma. Deux folles transporteuses de poissons rouges qui doivent s’astreindre de toute urgence à un rite qu’elles estiment vital. Une avocate des droits de l’homme porteuse d’un gros bouquet de roses, elle en offre une à la caméra embarquée. Il y en a d’autres, et surtout cette enfant -pourtant déjà recouverte de voiles-, la nièce du chauffeur-cinéaste Panahi. L’effrontée l’invective dans une séquence tordante et lui demande ce que serait un film « diffusable » dont, à l’école, sa maîtresse lui a demandé d’imaginer un scénario.
Evidemment tout est aussi à déguster au second degré, Panahi manie la parabole en toute fausse innocence. Réalisateur interdit de tourner, il démontre qu’il est pourtant au meilleur de sa forme d’artiste et d’intellectuel. Taxi Téhéran n’est pas un simple pamphlet, c’est l’expression d’un doute, celui d’un iranien qui interroge les traditions et les certitudes d’une société déboussolée, tout comme ce chauffeur de taxi qui ne connait plus bien les rues de sa ville.
A l’un des ses clients, aspirant cinéaste qui cherche un sujet en lisant des romans et visionnant des films, Panahi conseille: « Ces romans ont été écrits, ces films ont été tournés, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher l’inspiration« . C’est bien ce qu’il fait ici dans cet astucieux mélange qui confronte la fiction au réel, dans un film magistral.
Un enchantement bouleversant.
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