Des jeux de profondeurs de champ qui disent la dissociation de l’individu, une conflictualité issue de la lutte des classes autant que de l’impossibilité des corps ou du rapport aux géniteurs. Ce premier film essaye de cerner la rencontre de deux hommes de génération et de milieux différents, un quinquagénaire et un jeune adulte. De l’attirance à la fascination. Du sexe au bannissement.
Les amants de Caracas – Lorenzo VIGAS (Mexique) – 1h33
Le père absent ou le père terrible, c’est une obsession pour moi... Lorenzo Vigas, Mot à mot, Biarritz 2015.
Alors que le titre espagnol (« Desde allá »-« de là-bas ») ouvrait une possibilité de points de vue et de distance entre les protagonistes ou les quartiers d’une capitale d’Amérique latine, sa traduction française évoque une platitude de coucherie. Il n’empêche, pour son premier long métrage, Lorenzo Vigas s’attaque à la misère affective et sexuelle des hommes sur fond de lutte des classes.
Armando (l’acteur chilien Alfredo Castro en quinqua rigide et honteux de sa « perversion »), prothésiste dentaire racole dans les quartiers pauvres de Caracas de jeunes hommes. Il les paye pour se denuder et se masturbe sans oser aller au contact physique. Onanisme voyeur et transi dont l’origine à peine suggérée est la détestation d’un vieux père portant beau, entrepreneur ou banquier aperçu en quelques plans, dans sa suffisance financière et sa réussite.
Elder (Luis Silva -qui a grandi dans un quartier pauvre de la capitale vénézuelienne où il a fréquenté les gangs- en jeune frappe flairant le bon coup) inscrit sa violence dans le jeu de dupes des manipulations réciproques. La rencontre jouera finalement toutes les couleurs de son arc en ciel, de la violence à la quasi mise en ménage, jusqu’au point de non-retour. Le jeu des deux acteurs est excellent qui gomme les quelques pesanteurs de la réalisation (bande-son, stéréotypie sociale). Au coeur de leur mécanique « hainamoureuse », l’un ne saura jamais se rassembler ou tuer le père. L’autre, dans sa métamorphose et sa découverte d’une possibilité filiale ne sera jamais accueilli affectivement. Face à celui qu’il a débauché, Armando reste bloqué et refuse la fougue du petit caïd qui a commencé par le tabasser. La trahison achève de détruire leur joute pulsionnelle. Vigas dit pourtant ne pas questionner les méandres de l’inconscient dans un parti pris très réaliste (tabassage en règle, masturbation bruyante) qui plombe et laisse deux êtres en suspens et en manque.
Elder est un loup dans son rapport au monde et à la société que la drague d’Armando finit par ouvrir à la question du sentiment amoureux et du rapport à l’autre qu’installe par exemple un petit déjeuner. Mais cet accès de tendresse reste barré par un homme froid, entre deux âges, obsédé par son père et un passé traumatique, incapable de basculer dans un rôle protecteur. Coincé par sa sexualité déglinguée et sa volonté de contrôle, il préfère dénoncer qu’avancer dans ce que peut lui offrir de délivrance le jeune homme qu’il a payé.
Lorenzo Vigas filme cette impossible union dans les rues de Caracas qu’il a voulu rendre « le plus naturellement possible, sans la mettre en scène. Je voulais que la vie qui les remplit se ressente dans le film. On y trouve une énergie que nous n’aurions jamais pu trouver autrement. Je voulais tirer avantage de ce bouillonnement ». C’est au moment où une union singulière pourrait s’établir que les deux amants touchent le point de non retour.
L’homosexualité constitue une part essentielle du film et des personnages. Beaucoup de cultures sud-américaines restent très fermées à l’homosexualité, et l’homophobie est encore très répandue dans toutes les classes sociales. Elder, à travers le personnage d’Armando, constate d’ailleurs à quel point l’homophobie peut être destructrice.
Lorenzo Vigas, 2015.
Lorenzo Vigas, 2015.
> entretien avec Lorenzo Vigas (festival de Biarritz, octobre 2015)