« Cas de conscience » de l’iranien Vahid Jalilvand: un sans fautes? 🎬
Comme un effet papillon. Un simple accrochage sur la route et ce sont deux mondes qui s’écroulent. Le réalisateur iranien se distingue dans une convaincante variation sur le doute et la culpabilité.
Le lendemain, lors du staff matinal, Kaveh apprend qu’un certain Amirali, 8 ans, est arrivé à la morgue après avoir été admis mort dans un hôpital de la ville. C’est bien le gosse de la moto. Il n’explique pas son trouble à Sayeh, également médecin à l’Institut, accessoirement sa maîtresse. C’est elle qui va pratiquer l’autopsie qui conclue… à une évolution fatale d’une crise de botulisme. Ça change tout? Non.
Effondrée, Leila accuse son mari d’avoir acheté au noir les poulets de toute évidence avariés qu’ils ont mangés quelques jours auparavant, d’avoir tué leur enfant. De son côté, Kaveh est rongé par le doute: l’autopsie a-t-elle inspecté les conséquences d’un traumatisme crânien? Amirali n’est-il pas mort des conséquences de son embardée? Voilà deux hommes plongés dans les errements de la culpabilité qui n’est pas forcément de bon conseil, ce film tout en tension va nous le faire voir, vivre, subir même.
A qui la faute?
C’est bien la question. Habilement le film, lui aussi, entretient le doute jusqu’à sa dernière seconde. Poulets fatals marchandés au rabais pour préserver les finances d’une famille modeste, maladroit mais innocent coup de volant pour éviter le pire, qui est responsable de la mort d’Amirali? Bon courage à la justice qui va devoir trancher puisque l’affaire se prolonge au tribunal.
Douter d’avoir fauté, fauter de douter, les protagonistes déraillent, s’empoisonnent et se perdent, tenaillés par leurs compagnes qui veulent comprendre. Il y a de la tragédie grecque dans cet impossible dilemme. Ici, même en Iran, en Iran bien sûr aussi, se sont les femmes qui assurent le chœur, si elles demandent des comptes à leur homme soudain désemparé, elles mettent en espace concret une déshérence de la société iranienne. Car, en creux « Cas de conscience » (médiocre traduction du titre original) en dit mieux sur le quotidien d’un peuple que beaucoup de reportages qui ne montrent que des mollahs menaçants, moins les gens. En Iran aussi, une bourgeoisie aisée côtoie le dénuement d’un prolétariat qui peine au jour le jour. Les inconvénients des avantages d’une république plus moderne qu’on croit le savoir, bien que proclamée islamique et souvent trop facilement décrite comme moyenâgeuse.
Vahid Jalilvand filerait-il la métaphore, suggérant que ses concitoyens sont dans un doute général ainsi qu’ont semblé le montrer scrutins et évènements récents favorables aux réformistes? Au delà d’une convaincante variation sur doute et culpabilité, ce qu’il montre dans des couleurs désaturées virant parfois au lugubre vert de gris est à l’os d’un corps social désorienté. Le propos est original mais limpide, tout autant que la mise en scène constamment inventive au service de comédiens tous saisissants dans la vérité de leurs personnages. Un sans fautes tenaillant autant que bouleversant. Jalilvand est bien dans l’invention de la relève du cinéma iranien, portée notamment par des femmes, démodant sans les renier les anciens, Makhmalbaf et Kiarostami, poursuivant les entailles faites à la censure par Asghar Farhadi (« À propos d’Elly« , « Une séparation ») ou Jafar Panahi (« Le cercle« , « Taxi Téhéran« ), ce dernier étant toujours menacé de prison et interdit de tournage.
En Iran comme ailleurs, le cinéma est aux avant-postes de la modernité, la vraie, celles des hommes contre les appareils et les machines.
Cas de conscience – Vahid JALILVAND (Iran) – 1h44
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