Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #109: Bord de mer, chronique dystopique
Un singe se promène sur la plage; c’est Marco, assailli par de sombres pensées.
Ce weekend Pascal, nous avons pris la route et atterri à Jacqueville, une petite ville à une heure et demie de route d’Abidjan. Nous sommes allés Chez Laura, un campement charmant de cinq bungalows ronds plantés sur le sable au milieu des cocotiers, où nous allions parfois nous isoler quand nous vivions en Côte d’Ivoire au temps de la crise.
Le campement n’a pas changé, il s’est juste un peu délabré en dépit des efforts de Monsieur Pierre, qui, il me semble, travaillait déjà là, à la fin des années 2000, ce qu’il confirme mais sans grande conviction. Deux paillottes sur la plage se sont écroulées, mais il y a encore le filet de volley-ball. Le confort est toujours aussi rudimentaire, mais on sent que ce luxe spartiate est intentionnel, qu’il est peut-être même le reflet de Laura, la Britannique qui inventa le lieu.
Pendant les week-ends, la plupart des fortunés d’Abidjan prennent leurs voitures et partent vers l’Est, pour se détendre à Grand Bassam ou Assinie, envahissant la lagune avec leurs jet-skis. Ceux qui aiment le calme partent vers l’Ouest, où se trouve Jacqueville, qui fut jusqu’il y a peu protégée dans son isolement splendide par le bac qu’il fallait attendre parfois longtemps. Toute la côte est occupée par des plantations de cocotiers, avec ça et là quelques refuges hôteliers. Chez Laura est au bout de la route asphaltée, et même plus loin encore, sur la route en terre qui continue de longer la mer.
Le premier jour, nous n’avons pas voulu nager – Paula n’aimait pas la couleur de la mousse que faisaient les vagues. Le lendemain, peut-être à cause de la pluie tombée abondamment le matin, les vagues avaient un air un peu plus propre, et nous sommes allés nager au milieu des algues. Puis nous sommes allés nous promener sur la plage – un ruban de sable rectiligne qui s’étend, bordé de vagues et de cocotiers, jusqu’à l’horizon. Un ruban qui a été mangé par la mer ces sept dernières années, ai-je constaté en regardant de vieilles photos.
Sur la plage, on trouve beaucoup de choses. D’abord, des paquets d’algues jetées là par la mer, et qui dessinent comme des arabesques. Des coquillages, mais sans grande diversité. Et puis des tas d’objets ou de bouts d’objets, des tongs solitaires, des bouteilles, un briquet, une seringue, des récipients divers, des emballages, des jerrycans, un univers de déchets apportés là d’abord par la mer mais aussi par les autochtones qui vivent dans les maisons dont on aperçoit les toits de palmes. Là-bas, sous les cocotiers.
Évidemment, me dis-je, en Europe ou aux États-Unis, on ne trouve pas ces ordures sur la plage; là-bas il y a des services municipaux pour les ramasser, pour que la mairie puisse collecter la taxe hôtelière. Et c’est un service qui a de l’avenir: avec les millions de mètres cubes de déchets qui flottent aujourd’hui sur nos océans, nous allons pouvoir trouver des détritus sur nos plages pendant encore au moins un millénaire.
C’est un exploit que nous, les singes humanoïdés, avons réussi en moins de deux générations – à ma naissance, une telle débauche n’était pas pensable, le plastique était encore une nouveauté. Aujourd’hui, ma fille contemple un monde qui part en vrille parce que nous ne sommes toujours pas capables, dans nos actions, d’appréhender que nous faisons partie de l’écosystème. Mais qui blamer? Ah, je pourrais bien m’en prendre au « Président Trompe », mais ce singe-là n’est finalement pas différent des autres. Et donc pas même différent de moi (quelle ignoble pensée…).
Quand j’étais jeune, les punks chantaient déjà “No Future”….
Le campement n’a pas changé, il s’est juste un peu délabré en dépit des efforts de Monsieur Pierre, qui, il me semble, travaillait déjà là, à la fin des années 2000, ce qu’il confirme mais sans grande conviction. Deux paillottes sur la plage se sont écroulées, mais il y a encore le filet de volley-ball. Le confort est toujours aussi rudimentaire, mais on sent que ce luxe spartiate est intentionnel, qu’il est peut-être même le reflet de Laura, la Britannique qui inventa le lieu.
Pendant les week-ends, la plupart des fortunés d’Abidjan prennent leurs voitures et partent vers l’Est, pour se détendre à Grand Bassam ou Assinie, envahissant la lagune avec leurs jet-skis. Ceux qui aiment le calme partent vers l’Ouest, où se trouve Jacqueville, qui fut jusqu’il y a peu protégée dans son isolement splendide par le bac qu’il fallait attendre parfois longtemps. Toute la côte est occupée par des plantations de cocotiers, avec ça et là quelques refuges hôteliers. Chez Laura est au bout de la route asphaltée, et même plus loin encore, sur la route en terre qui continue de longer la mer.
Le premier jour, nous n’avons pas voulu nager – Paula n’aimait pas la couleur de la mousse que faisaient les vagues. Le lendemain, peut-être à cause de la pluie tombée abondamment le matin, les vagues avaient un air un peu plus propre, et nous sommes allés nager au milieu des algues. Puis nous sommes allés nous promener sur la plage – un ruban de sable rectiligne qui s’étend, bordé de vagues et de cocotiers, jusqu’à l’horizon. Un ruban qui a été mangé par la mer ces sept dernières années, ai-je constaté en regardant de vieilles photos.
Sur la plage, on trouve beaucoup de choses. D’abord, des paquets d’algues jetées là par la mer, et qui dessinent comme des arabesques. Des coquillages, mais sans grande diversité. Et puis des tas d’objets ou de bouts d’objets, des tongs solitaires, des bouteilles, un briquet, une seringue, des récipients divers, des emballages, des jerrycans, un univers de déchets apportés là d’abord par la mer mais aussi par les autochtones qui vivent dans les maisons dont on aperçoit les toits de palmes. Là-bas, sous les cocotiers.
Évidemment, me dis-je, en Europe ou aux États-Unis, on ne trouve pas ces ordures sur la plage; là-bas il y a des services municipaux pour les ramasser, pour que la mairie puisse collecter la taxe hôtelière. Et c’est un service qui a de l’avenir: avec les millions de mètres cubes de déchets qui flottent aujourd’hui sur nos océans, nous allons pouvoir trouver des détritus sur nos plages pendant encore au moins un millénaire.
C’est un exploit que nous, les singes humanoïdés, avons réussi en moins de deux générations – à ma naissance, une telle débauche n’était pas pensable, le plastique était encore une nouveauté. Aujourd’hui, ma fille contemple un monde qui part en vrille parce que nous ne sommes toujours pas capables, dans nos actions, d’appréhender que nous faisons partie de l’écosystème. Mais qui blamer? Ah, je pourrais bien m’en prendre au « Président Trompe », mais ce singe-là n’est finalement pas différent des autres. Et donc pas même différent de moi (quelle ignoble pensée…).
Quand j’étais jeune, les punks chantaient déjà “No Future”….
(*Dystopie: « Société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné. » ©Larousse)
► nous écrire: desmotsdeminuit@francetv.fr
► La page facebook desmotsdeminuit.fr Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- Les Carnets d'ailleurs de Marco & Paula: Chronique d’un petit coin tranquille
Quittant pour une fois les bureaux des ministères à Abidjan, Marco passe une soirée loin…
- Marco & Paula : Carnets d'ailleurs #16: Paula dans l'entre-deux...
La vie nomade, ce n'est pas seulement le lointain et l'exotique, les bagages et les…
- Les Carnets d'ailleurs de Marco & Paula #118: La complainte de Paula en Abidjan
Certes, Abidjan n'est pas l'Alaska. Mais les offres d'emploi y sont tout autant source de…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202053120Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...