Emmanuel Noblet (« Réparer les vivants ») et Justine Triet (« Victoria ») #539
Ces deux-là sont de la classe 75-78, nés à Paris et à Fécamp. Lui, études approfondies en droit avant la scène; elle, les beaux-arts avant le cinéma. Ils ont la foi, celle de temps incertains. Et ils réussissent deux belles entrées en matière. À l’une la quête d’un « je » féminin du côté de Solférino ou chez Victoria. À l’autre la transplantation d’un texte sur scène qui dit celle du coeur!
Réalisation: Pascal Bouvier
Rédaction en chef: Rémy Roche
Montage: Alexandra Grand
Coordination: Marie-Odile Régnier
Direction: Philippe Lefait
© desmotsdeminuit.fr
Quand Louis Jouvet enseignait les grands textes à ses élèves, il passait des heures à leur apprendre à redonner « le sentiment de la phrase ». Un demi-siècle plus tard, un comédien est subjugué par un texte, son audacieuse et vibrante précision, sa promesse. « Réparer les vivants » de Maylis de Kérangal. De cette rencontre, il fait une représentation dont il est le concepteur et l’unique mais pluriel interprète. Le pari est audacieux, d’abord donné à Avignon où il touche le public et intéresse la critique. Porté par la certitude d’un livre et la substance d’un sujet -une greffe cardiaque- sensible, Emmanuel Noblet peut savourer le succès de ce seul en scène qui lui est donné et renouvellé par les vivants.
– Que faire Nicolas?
– Enterrer les morts et réparer les vivants.Platonov. Tchékhov, 1880-81.
Platonov. Tchékhov, 1880-81.
Déjà les enfants, les animaux, un à fleur de peau, le quotidien de la ou des pressions et la pression du quotidien dans le premier long métrage de Justine Triet « La bataille de Solférino »! Mais qu’il s’agisse alors de Laeticia (Dosch) aux prises avec son ex-mec Vincent (Macaigne) ou maintenant de « Victoria » Spik (Virginie Efira), c’est toujours d’une question posée à une femme d’aujourd’hui qu’il s’agit: comment se poser là? Dans la vie, dans sa vie, dans cette société stupéfiante de raccourcis et d’injonctions à tout faire: bien la maman qui court et qui ne devrait pas, bien la femme sous tous rapports, bien la journaliste un jour d’une élection, bien l’avocate dans l’indémerdable sado-maso d’un couple, bien l’éthologue quand il s’agit de faire témoigner devant le juge un dalmatien, et bien tout ce qui reste. À commencer par le retour sur soi, quelques instants, entre une clope et un anxiolytique. Le poncif contemporain et réducteur irait chercher l’hystérie ou mieux une bipolarité qui fait alterner les hauts et les bas pour qualifier les bobos, sexes confondus, de nous autres; et plus généralement, cette urgence qu’il y aurait à vivre des temps égoïstes et libéraux. Bref, beaucoup de fond dans les « comédies » et le burlesque d’une réalisatrice dont Les cahiers du cinéma disent qu’elle donne, avec d’autres, « coup de jeune » et « nouvel élan » au film français.
En novembre 2010, les Cahiers consacraient un dossier aux jeunes cinéastes avec un titre affirmatif: « Demain ils feront le cinéma français » (n°661). Notre enthousiasme était motivé autant par les solutions économiques trouvées par une génération débrouillarde que par l’exigence nouvelle de stylisation du réel après deux décennies de domination du naturalisme. Depuis, d’autres noms sont apparus (Justine Triet, Guillaume Brac, Héléna Klotz) et la naissance d’une nouvelle génération se confirme. Deux ans et demi après, le moment est venu : Yann Gonzalez, Justine Triet, Rebecca Zlotowski, Antonin Peretjatko, Djinn Carrénard, Guillaume Brac terminent en même temps leurs longs métrages.
Stéphen Delorme. Les cahiers du cinéma, avril 2013.
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