DMDM #536. C. Lapertot et T. Le Texier: femmes en guerre, manager sa vie
Le viol est une arme de guerre, « quelque part en Afrique » dans le roman de Céline Lapertot. Livre singulier, puissant, sur celles, qui, comme Séraphine, retrouvent une entièreté en devenant « guerrières » ou « lionnes impavides »..
« Gérer sa vie », sous le poncif cette évidence: la rationalité managériale et son avatar, l’efficacité, ont phagocyté l’humain dans son usine et son quotidien.
Réalisation : Pascal Bouvier
Rédaction en chef : Rémy Roche
Coordination : Marie-Odile Regnier
Edition: Mame-Awa Nguer
©desmotsdeminuit.fr
Céline Lapertot dans la puissance, la structure de ses récits et la précision de son écriture (« Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre » est le titre de son premier roman) réussit à consigner l’inavouable ou l’innommable, pose les questions de la légitime violence, des abus de pouvoirs ou des statuts assignés. Dans ses deux livres qui disent les crimes dont sont victimes les femmes une même idée: le refus de la soumission quel qu’en soit le prix.
Thibault Le Texier est un jeune homme aussi sympathique que chercheur en sciences humaines. Et pour cause, il déboulonne quelques idoles qui font les poncifs contemporains. L’efficacité, le contrôle, l’organisation du sol au plafond en sont quelques-uns quand la rationalité managériale en fait les pivots dans l’entreprise du contrôle des hommes ou des femmes dans la cuisine. Si, si! Ce que montre très bien le film visible ci-dessous et signé par lui.
Et dire qu’à l’origine le verbe « manager » voulait dire « prendre soin, s’occuper de », s’agissant d’un enfant, d’un malade ou d’un animal de ferme. Mais Monsieur Taylor est passé par là qui a fait la part (trop?) belle aux ingénieurs.
Savez-vous pourquoi l’on a accepté de nous livrer ainsi à vous, dans ce que nous avons de plus intime. C’est parce que vous avez marché avec nous. Vous avez couru à nos côtés, la caméra embarquée. Vous avez marché aux côtés de nos mères, lorsqu’elles vendaient nos haricots, nos œufs et notre lait. Vous avez partagé la sueur de nos mères. Vous les avez suivies tout le temps. Vous nous suivez partout, que nous nous battions, que nous vendions, que nous produisions. Vous avez constaté une chose : nous marchons. Nous marchons toujours. La marche est notre socle, le fondement de notre petite civilisation de femmes. Nous marchons pour vendre, nous courons pour fuir mais nous marchons encore pour tuer.
« Dans ce pays d’Afrique, la guerre civile fait rage et nul destin n’est tracé. Celui de Séraphine s’annonce heureux – elle épousera bientôt l’homme qu’elle aime –, mais il bascule lorsque des miliciens saccagent son village. Elle perd alors toute sa famille, et son innocence. Sauvée in extremis grâce à l’intervention d’une faction de l’armée régulière conduite par l’exceptionnelle Blandine, elle se joindra à sa troupe de « Lionnes impavides », qui luttent dans l’espoir fou d’un retour à la paix.
Il est impossible de lâcher ce roman – d’une pudeur et d’une justesse saisissantes –, hymne à l’héroïsme des êtres qui transforment leurs silences en un cri de courage et de fureur.
Céline Lapertot, 29 ans, est professeur de français. »
©Viviane Hamy
« Regardons autour de nous. À quoi ressemble notre monde, sinon à un continuum fonctionnel d’appareils, d’organisations et de managers ?
Depuis un siècle, tandis que la critique vilipendait le capitalisme et l’État, la gestion, subrepticement, s’est immiscée partout. Ainsi manageons-nous aujourd’hui les entreprises et leurs salariés, certes, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les villes, la nature, les enfants, les émotions, les désirs, etc. La rationalité managériale est devenue le sens commun de nos sociétés et le visage moderne du pouvoir : de moins en moins tributaire de la loi et du capital, le gouvernement des individus est toujours davantage une tâche d’optimisation, d’organisation, de rationalisation et de contrôle.
Ce livre montre comment cette doctrine, forgée il y a cent ans par une poignée d’ingénieurs américains, a pu si rapidement conquérir les consciences, et comment l’entreprise a pris des mains de l’État et de la famille la plupart des tâches nécessaires à notre survie. »
©Ed La découverte.
Dans le film « Le facteur humain » de Thibault Le Texier (2011).
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