À la façon d’une tragédie grecque, l’amour l’emporterait sur la raison? C’est la proposition d’un film juste, magnifiquement interprété.
Aurora – Rodrigo SEPULVEDA (Chili) – 1h20
Cette femme est étrange.
Depuis des années, Sofia et son mari Pedro, sont en demande d’adoption, ils connaissent et remplissent les formulaires sans succès, lassés mais pas découragés.
Voici que la presse publie en une un fait divers épouvantable: un bébé mort a été retrouvé mélangé aux ordures d’une décharge. Pour Sofia c’est un choc, un bouleversement, elle se rend à l’institut médico-légal: elle veut voir ce petit cadavre. Refus, elle ne peut justifier d’un quelconque lien avec cet inacceptable destin, il faut une autorisation judiciaire. Qu’à cela ne tienne, elle fait le siège du juge concerné, un grand-père débonnaire mais à cheval sur son statut et le respect des lois. Elle lui explique qu’elle veut adopter ce bébé mort, c’est une fille, elle lui a déjà trouvé un prénom: Aurora, elle veut lui offrir une sépulture, « chrétienne, humaine« .
Ce qui fait un humain, ça n’est pas de naître, c’est d’être enterré.
Sofia
L’entêtement de Sofia désarçonne le juge qui se résout à ouvrir une procédure, il tourmente Pedro, mais le mari s’y résout, par amour. Il intrigue aussi le spectateur qui, d’abord, n’est pas sûr de vouloir suivre ce qu’il pense être un délire invraisemblable d’une femme en mal d’enfant, en mal d’elle-même.
Pourtant l’adhésion à ce personnage sera finalement complète, pas à cause d’un final qu’on ne révélera pas ici, pas non plus parce qu’on sera informé que le film est « inspiré d’un fait réel« . Au cinéma on se fiche bien qu’un scénario soit « inspiré d’un fait réel » puisqu’on est au cinéma et pas devant le 20 heures.
Juste, fort et touchant
Car si on commence par douter d’une improbable histoire, entre désir contrarié d’adoption et folie douce, on est ensuite emporté par ce personnage froidement aveuglé de ténacité et d’amour, et on se rend à sa sincérité, réel ou pas, c’est un vrai personnage dramatique. Pourquoi? Parce que le film, dans sa proposition artistique nous laisse le choix: aucun pathos dans sa réalisation à une juste distance, plans séquences fixes, lumières froides, mise en scène limpide. C’est déjà beaucoup, ce ne serait sans doute pas assez sans l’exceptionnelle interprétation de Amparo Noguera, toute en retenue, en sobriété elle aussi, ses silences en disent autant que ses mots, cette Antigone latine est impressionnante.
Sofia est-elle hors raison, peu importe, on est au cinéma, du très bon cinéma.
Je préfère poser des questions que donner des réponses.
Rodrigo Sepulveda
le film-annonce de Aurora:
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