Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula #48: Paula chante le blues…
Paula chante le blues. Le blues des ONG, le blues des gens du terrain, quand se rencontrent deux univers qui ne se cadrent pas mais ne peuvent se passer l’un de l’autre : celui-ci des intervenants de terrain et celui-là des bureaucrates, qu’ils soient congolais, onusiens ou bilatéraux.
Réunion d’évaluation d’un projet de nutrition : deux ONG rendent compte de leurs avancées à l’agence onusienne qui leur octroie des fonds. Pas de stress, les activités se déroulent plutôt bien, les responsables des deux ONG sont d’accord entre eux, et les représentants du bailleur posent des questions pertinentes. Ça commence à se gâter dans ma tête quand nous commençons à discuter du « manque de motivation » de ces communautés qui rechignent à poursuivre leur rôle lorsque les ONG ne sont plus présentes. De ce coté-ci, on dit : « ils ne sont plus payés. Même si ce qu’ils reçoivent quand nous sommes présents est dérisoire (quelques dizaines de dollars par mois sous forme de crédits de téléphone, de frais de transport), cela les motive ». De ce coté-là, on répond qu’il faut les motiver autrement, être innovants, inventifs. La belle idée ! J’adorerais explorer des chemins de traverse, accompagner l’équipe et la communauté dans la recherche et l’expérimentation de méthodologies différentes. Mais le cadre logique onusien nous demande d’atteindre …. 9 356 femmes. Pas une de moins, ou quelques unes de plus. Répondre à de tels indicateurs quantitatifs ne nous permet guère de musarder entre deux activités de monitorage, d’assistance technique, de supervision conjointe…
Nous n’avons pu creuser la réflexion plus loin, ni même évoquer un planning des naissances qui permettrait aux parents de mieux nourrir leurs enfants, l’orde du jour était trop dense. De fait, le grand spécialiste nutritionniste était arrivé avec une heure et demi de retard. Vers 14h, nous avons fini par acheter des bouteilles d’eau pour noyer les cris d’appel de nos estomacs. Je regardais avec inquiétude une collègue de mon équipe enceinte de 8 mois. Ah ! Le projet inclut la surveillance nutritionnelle des femmes enceintes….
Le mois passé un bailleur nous présentait le pool fund, un panier dans lequel des gouvernements mettent des fonds en commun pour réagir à des crises humanitaires. Un des présentateurs a lâché, goguenard, que nous étions les uns et les autres, nous les potentiels receveurs de ces financements, en compétition. Il m’a fallu beaucoup de flegme pour ne pas sortir mon bazooka. La misère deviendrait un enjeu de compétition ? L’objet d’un jeu de stratégie pour décrocher le jackpot des subventions ? J’ai respiré à fond et attendu l’occasion pour lui demander, diplomatiquement, si tout son blabla avait un sens quand on sait que le principal bailleur de ce pool fund est le DFID, c’est à dire les Anglais, qui ont déjà menacé par deux fois de fermer toutes leur vannes financières si les élections ne se déroulaient pas cette année comme prévu.
Le mois passé un bailleur nous présentait le pool fund, un panier dans lequel des gouvernements mettent des fonds en commun pour réagir à des crises humanitaires. Un des présentateurs a lâché, goguenard, que nous étions les uns et les autres, nous les potentiels receveurs de ces financements, en compétition. Il m’a fallu beaucoup de flegme pour ne pas sortir mon bazooka. La misère deviendrait un enjeu de compétition ? L’objet d’un jeu de stratégie pour décrocher le jackpot des subventions ? J’ai respiré à fond et attendu l’occasion pour lui demander, diplomatiquement, si tout son blabla avait un sens quand on sait que le principal bailleur de ce pool fund est le DFID, c’est à dire les Anglais, qui ont déjà menacé par deux fois de fermer toutes leur vannes financières si les élections ne se déroulaient pas cette année comme prévu.
Autre réunion dans une agence onusienne ; celle-ci finance notre ONG – en fait, c’est un système de poupées russes : ils nous procurent des fonds, mais ils se font eux-même financer par un bailleur plus haut dans la chaîne, dans ce cas : l’Union Européenne. Nos activités de prise en charge des personnes soumises à des violences sexuelles s’inscrivent dans leur plus vaste programme visant à modifier les mentalités dans les rapports hommes/femmes. Lequel, lui-même, fait écho aux objectifs du millénaire, au développement durable, etc..
Nous sommes nombreux autour de la table pour finaliser l’agenda de la consultante de Bruxelles chargée d’évaluer les résultats du programme (combien de femmes, etc…). Les dates de cette évaluation ont été décidées par l’UE, mais celle-ci a négligé de s’informer du calendrier national (c’est ce qu’on appelle le développement participatif, ou inclusif), et donc la visite commence un jour férié. Finalement, nos arguments portent et notre projet sera visité un autre jour.
Par contre, les rendez-vous avec le « Ministère de la femme, famille, enfants » sont maintenus pour le jour férié ; ce ministère est l’interlocuteur primordial du bailleur, car il est censé coordonner le programme, ce qu’il fait par… délégation, pour le dire élégamment. La représentante du Ministère décide que tout le monde doit être présent à ce premier rendez-vous, ce qui ne présente absolument aucun intérêt. S’en suit une série d’échanges assez vifs entre l’agence et le ministère, chacun voulant jouer au leader suprême. C’est théâtralisé à souhait : un vrai régal. L’argent parle et le Ministère finit par céder. La représentante repart en bataille quelques instants plus tard, lorsqu’il est question des horaires de démarrage des journées. L’agence prévoit d’être sur le terrain à 9h30, or c’est l’heure à laquelle l’équipe du Ministère prévoit de quitter ses bureaux (il faut environ une heure pour se rendre sur chacun des sites). Là encore, la représentante cède, mais je suis bien certaine qu’elle arrivera à l’heure qu’elle a choisie, au nom de la souveraineté nationale.
Nous, les gens de terrain, nous serons là. Nous biberonnerons nos bouteilles d’eau en attendant.
Nous sommes nombreux autour de la table pour finaliser l’agenda de la consultante de Bruxelles chargée d’évaluer les résultats du programme (combien de femmes, etc…). Les dates de cette évaluation ont été décidées par l’UE, mais celle-ci a négligé de s’informer du calendrier national (c’est ce qu’on appelle le développement participatif, ou inclusif), et donc la visite commence un jour férié. Finalement, nos arguments portent et notre projet sera visité un autre jour.
Par contre, les rendez-vous avec le « Ministère de la femme, famille, enfants » sont maintenus pour le jour férié ; ce ministère est l’interlocuteur primordial du bailleur, car il est censé coordonner le programme, ce qu’il fait par… délégation, pour le dire élégamment. La représentante du Ministère décide que tout le monde doit être présent à ce premier rendez-vous, ce qui ne présente absolument aucun intérêt. S’en suit une série d’échanges assez vifs entre l’agence et le ministère, chacun voulant jouer au leader suprême. C’est théâtralisé à souhait : un vrai régal. L’argent parle et le Ministère finit par céder. La représentante repart en bataille quelques instants plus tard, lorsqu’il est question des horaires de démarrage des journées. L’agence prévoit d’être sur le terrain à 9h30, or c’est l’heure à laquelle l’équipe du Ministère prévoit de quitter ses bureaux (il faut environ une heure pour se rendre sur chacun des sites). Là encore, la représentante cède, mais je suis bien certaine qu’elle arrivera à l’heure qu’elle a choisie, au nom de la souveraineté nationale.
Nous, les gens de terrain, nous serons là. Nous biberonnerons nos bouteilles d’eau en attendant.
Et moi, Paula, en reprenant le travail après un long week-end, je me réveille avec le dos en vrac : je somatise. Le blues!
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