Stéphane Audoin-Rouzeau et Fellag : indicible rwandais et Algérie-France. #546

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Quelque chose se passe ici de la rencontre de deux mémoires. Celle de l’historien, universitaire installé dans l’étude de la guerre qui ne dimensionne pas le génocide rwandais de 1994. « Une initiation » est le récit d’une victoire sur cette « inconscience »; celle de l’humoriste qui sait faire rire du vieux couple franco-algérien mais pas de l’oncle torturé devant lui, quand il était enfant

« Plus jamais ça! » 

D’avril à juillet 1994 a eu lieu au Rwanda, pays d’Afrique de l’Est un génocide de la population d’origine tutsie. Ont été également exterminés les Hutus qui étaient à leur côté et ont été considérés comme traîtres à la cause des génocidaires. L’ONU estime qu’environ 800 000 Rwandais ont été massacrés durant ces 100 jours. 
Un terrible cynisme journalistique établit une règle du mort kilomètre. Plus c’est loin, moins ça concerne! Le drame de Srebrenica était « à deux heures d’avion de Paris ». Le Rwanda était lui au bout de l’Afrique, englué dans ses « rivalités tribales ou inter-ethniques », autant d’aveuglements, de poncifs ou de facilités qui font les bonnes « inconsciences » occidentales, y compris chez les mieux ou les plus avertis ou sachants.
L’historien n’est pas à l’abri de ces pièges. Le remarquable intérêt de l’essai de Stéphane Audouin-Rouzeau est de questionner une façon de passer à côté de l’ampleur du drame puis, à l’occasion de nombreux voyages sur place, de retrouver la juste mesure d’un advenu monstrueux derrière lequel reste encore à déterminer l’exacte implication de la France auprès des criminels contre l’humanité. 

« Mais que s’est-il passé ?
Après trois décennies d’un parcours de recherche entièrement consacré, dès l’origine, à la violence de guerre, un « objet » imprévu a coupé ma route. On aura compris qu’il s’agit du génocide perpétré contre les Tutsi rwandais entre avril et juillet 1994, au cours duquel huit cent mille victimes au moins ont été tuées, en trois mois.

Ce qui se joue ou peut se jouer chez un chercheur, dans l’instant tout d’abord, dans l’après-coup ensuite, constitue l’axe du livre qui va suivre. Car l’objet qui a croisé ma route ne s’est pas contenté de m’arrêter pour un moment : il a subverti, rétroactivement en quelque sorte, toute la gamme de mes intérêts antérieurs.

Stéphane Audoin-Rouzeau est directeur d’études à l’EHESS et président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre (Péronne-Somme). Il est notamment l’auteur au Seuil de « Quelle histoire. Un récit de filiation (1914-2014) »  et de « Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne » (2008). (©Seuil)

Et pourtant, le public rit, puis se contente de sourire quand il se rend compte de ce que dit l’humoriste qui joue de cet accent qui par ailleurs emporte son adhésion. Figurez-vous qu’enfant, les deux premiers objets électriques qui l’ont fasciné, ce sont la magnifique radio du papa, qui à l’occasion, faisait danser les mères, les filles et les voisines quand le patriarche était ailleurs… Et la gégène, bien connue des services militaires français chargés de récolter le renseignement quand les événements d’Algérie n’étaient pas encore une guerre, à peine « des opérations de maintien de l’ordre ». L’historienne Raphaëlle Branche a demontré depuis que la torture appartenait au système de repression de l’armée française.
Mohamed Fellag dans son spectacle revisite de belle manière les douleurs de ce couple franco-algérien ou algéro-français -il sait les deux bords- qui n’a pas apuré tous les comptes de la réconciliation. Imaginez aujourd’hui Mohamed Fellag, oubliant dans un train bondé sa valise pleine à craquer… Et le public rit, puis se contente de sourire… dans l’empathie de celui-là qu’on stigmatise! 
« Il y a bien un rayon halal chez Leclerc.
Dans une rétrospective, florilège brûlant d’actualité des spectacles passés, Fellag se joue de tous les tabous, de tous les clichés qui opposent les Français aux Algériens, l’Orient à l’Occident. Fellag, indispensable prophète. » 
(©Théâtre du Rond-point)
(Mise en scène : Marianne Épin)

 

 

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