Les Comores quittées, à la vitesse de l’éclair (36h) de manière tout à fait inattendue (merci les prévisions météo Grib) nous avons fait notre entrée, de nuit, au large de Hell Ville à Nosy Be, Madagascar. Grosse surprise au matin, une bonne quinzaine de voiliers étaient ancrés dans la baie. Nosy Be a donc réussi à se refaire une réputation après les dramatiques événements d’il y a deux ans.
Il y a deux ans, un massacre sauvage avait rayé Nosy Be de la liste des destinations idéales des tours operators, les touristes avaient fui, les navigateurs également. Gouvernement et autorités locales ont remis de l’ordre et ont fait du tourisme une priorité absolue. Nosy Be a joué le jeu et en récolte aujourd’hui les fruits. Nos amis « tour du mondistes » sont ravis d’être ici et resteraient bien plus longtemps que prévu.
Adieu Moheli et les Comores, bonjour Madagascar avec comme porte d’entrée Nosy Be, la grande île, au nord ouest et sa capitale Hell ville. Nosy Be, comme d’autres lieux à Mada a connu des hauts et des bas, de grands moments de paix entre les différentes communautés et d’autres de violence à l’égard des vazaha (étrangers). L’un des pires a eu lieu il y a deux ans, à l’origine un enfant retrouvé mort sur une plage. Telle une trainée de poudre, les rumeurs ont enflé, accusant tour à tour l’oncle de l’enfant, un touriste français et un franco-italien installé depuis de nombreuses années sur l’île de tous les crimes allant de la pédophilie au trafic d’organes. S’en est suivie une chasse à l’homme qui s’est terminée sur une plage par le massacre pur et simple de ces trois hommes. Des vidéos de ce carnage ont commencé à tourner, créant un réel traumatisme et pas seulement à Madagascar. L’effet a été immédiat et Nosy Be rayée du catalogue des voyagistes. Une catastrophe économique immédiate. Certains pensaient que l’île ne s’en remettrait jamais. Les autorités locales ont repris les choses en main, ramenant l’ordre et la raison, redonnant à Nosy Be son lustre, reconstruisant sa réputation, patiemment. Et c’est une réussite incontestable. L’accueil est des plus courtois, les formalités pour les navigateurs simplifiées les tarifs clairs. Tout est fait pour que le voyageur de passage s’y sente bien et le nombre de voiliers ancrés à Hell Ville ou à Cratère (une baie protégée à quelques miles de la capitale) témoignent de ce regain d’affection.
Comme d’habitude, nous avons retrouvé nos camarades navigateurs. Ken et Christine, les Australiens de Code zero, que nous avions quittés aux Chagos. A peine arrivé à Madagascar Ken s’est blessé gravement et a été obligé de se faire opérer d’une rupture d’un muscle au niveau de la jambe, en urgence, en Afrique du Sud. Il nous est revenu en pleine forme. Andrew et Karen et leur quatre enfants, également Australiens, en mer depuis 5 ans sont fidèles au poste, Jaimie et Behan, ainsi que leurs trois rejetons, Américains en tour du monde depuis huit ans à bord de Totem ne manquent pas à l’appel. Bill, le Californien, en solitaire sur Solstice avec qui nous privilégions le convoi, retrouve son rythme et ses articulations linguistiques habituelles, avec nous il doit faire des efforts et répéter souvent afin que nous comprenions bien… Arthur l’attorney New yorkais et Amy la pharmacienne, leurs deux garçons sur Mourning glory, Warren et Maria nos Hollandais en route depuis huit ans sur leur minuscule Night fly. Personne ne manque à l’appel. Et la bande s’est étoffée, de nouveaux arrivent, se sont attardés en Indonésie, en Thaïlande ou ailleurs. Le monde des circum voyageurs est petit, tout petit. Avec le temps, les coutumes s’installent, les « happy hour » à 16h30, de préférence sur la première langue de sable à proximité, chacun avec sa bière. Nos bateaux ne sont jamais assez grands pour contenir tout le monde, les petits comités ne doivent pas vexer. Aux Chagos, nous avions instauré le volley ball, aux Comores, le barbecue langoustes. Pas facile, je sais…
Et lorsque au fil des discussions nous rappelons que nous sommes plus près de la fin que du début de notre voyage, les propositions ne manquent pas « Venez en Afrique du Sud avec nous! ». Shakespeare ne peut pas, notre bateau n’est pas prévu pour un tour du monde, nous non plus d’ailleurs, « Alors on vous embarque!« . Mais bien sûr… Et elles sont tentantes ces propositions, mais probablement pas réalistes. En même temps, je vois bien le documentaire vécu de l’intérieur. Et toutes ces invitations ne sont pas des paroles en l’air. Seul bémol, ma principale qualité à bord est d’être le maître du pain. Certes important mais à 25/30 noeuds je me mets à rêver de ce fameux vêtement présenté au Grand Pavois de La Rochelle qui paraît-il serait efficace contre le mal de mer. Je demande à voir!
Les moments passés avec tous ces navigateurs sont passionnants. Passionnants par leurs histoires, les aventures qu’ils racontent avec simplicité, l’entraide dont ils font preuve, la réflexion qu’ils ont acquise sur le monde, l’environnement, les relations humaines. L’incompréhension qu’ils subissent souvent de leurs parents ou leurs frères et sœurs. Les questions, sans cesse, sur leurs enfants, l’éducation qu’ils leur donnent. Ils n’ont pas toutes les réponses, ils font de leur mieux, inventent, cherchent, espèrent ne pas se tromper. Ils ont trouvé le plaisir et la liberté pour eux, essaient de donner ce qu’ils n’ont peut être pas eu à leurs enfants, les préservent, leur ouvrent l’esprit. Il faudra attendre encore avant d’être sûrs qu’ils ont eu raison. Ken et Christine ont fait de même avec leurs enfants. Aucun d’eux ne rêve de tour du monde en bateau. Qui sait pour ces sept là de Totem et Utopia ? Ils sont vifs, curieux de tout, ouverts ou timides et dans leur monde. Quoiqu’il en soit, ils sont terriblement attachants et nous manqueront.
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