Etre au plus près de l’individu dans son ambivalence la plus complexe, franchir toutes les limites pour recréer son propre ordre est au cœur de l’écriture d’Harold Pinter. Un langage concis et direct, dont s’empare le tg STAN qui nous présente « Trahisons », au Théâtre de la Bastille. Une traduction et une adaptation bouleversantes qui nous plongent au cœur de la sensibilité et des méandres humains.
Cette comédie est basée sur un système de chronologie à rebours qui commence par la fin d’une histoire, celle d’Emma, Jerry et Robert, trois individus confrontés aux ravages du temps. Quoi de plus naturel pour cet écrivain, fervent de contresens et de contre-raison, qui rattache toujours le chaos à une logique déstabilisante. Car Pinter est pourvu d’un don inégalable : celui de faire du pire une norme, une pensée commune d’une rationalité évidente pour ceux qui y participent. Ce décalage, parfois horrifiant, crée toute l’authenticité et l’intensité de ses propos.
Ici, Jerry fut, pendant sept ans, l’amant d’Emma, la femme de son meilleur ami Robert, lui-même au courant de leur liaison depuis plusieurs années. Les deux hommes continuent pourtant d’entretenir une relation quotidienne, sans gêne ni animosité apparentes. Leurs discussions banales et leurs entrevues routinières cachent pourtant toute l’amertume des trahisons amoureuses et amicales. Les aveux masquent les mensonges et le cynisme humoristique tente de dédramatiser la cruauté qui découle de leur situation. Car l’humour est bel et bien au centre de cette comédie acerbe qui parcourt la vie à reculons avec une véracité saisissante.
Un réalisme d’autant plus éloquent qu’il est exprimé, en partie, à travers trois brillants comédiens, poignants d’émotions et de délicatesse. Dans un respect des silences si évocateurs et souvent plus forts que les mots, ils parviennent à transmettre tellement, juste à travers un regard qui nous trouble et nous fige sur place, dans un temps indéfini et hypnotisant de vérité. Nul besoin de trop s’épancher dans du verbiage inutile; l’essentiel, le plus précieux, reste la pensée et cette pensée, de soi, de l’autre, prime et s’étend sur tout le plateau et dans toute la salle concentrée et déroutée. Une grande humanité, dans ce qu’elle a de plus spontané, de plus honnête et de plus pur, émane de ces trois comédiens qui sont dans une présence et dans une confrontation à l’autre des plus captivantes: Jolente De Keersmaeker, Robby Cleiren et Frank Vercruyssen, pour un théâtre de la vie.
Trahisons, d’Harold Pinter mis en scène par le tg STAN
Paris – Théâtre de la Bastille, jusqu’au 5 juillet 2015
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