Dans le silence du monastère… A la seule lueur d’une lampe à pétrole désagréablement odorante, dans une petite chambre au confort minimaliste. C’est là, que je me suis retrouvé. Je suis impatient, j’ai un peu la même sensation qu’à mon départ pour l’Afrique…
J’avais décidé mon départ rapidement. Renée, une de mes voisines du quartier Latin, soixante-douze ans au moment de ce voyage vers la fin de l’année 2000, m’avait proposé de l’accompagner avec son neveu, Gilles, à l’occasion d’un voyage humanitaire. L’idée m’avait tout de suite séduit. L’année avait démarré au pas de course. J’avais fait le marathon de Paris, intégré un collectif de photographes et je me promenais partout en France et en Europe pour différents clients du secteur automobile. Faire des images à but non lucratif m’avait tout de suite plu. Cela me permettait de faire un break avec ce monde de la surconsommation dans lequel j’évoluais. J’avais été en Afrique trois ans plutôt, pour réaliser l’ascension des deux plus hauts sommets de Tanzanie: le mont Méru (4565m) et le mont Kilimandjaro (5895m): une vraie élévation. Le Burkina Fasso sera une vraie révélation.
Au monastère de Koubri, là où nous étions hébergés, j’avais obtenu l’autorisation de la mère supérieure -surtout grâce à l’intervention de Renée- de photographier les soeurs pendant leurs journées. Aucune photo n’avait jamais été réalisée dans les coulisses du monastère depuis sa création en 1963. Je serai discret et silencieux, à l’image du lieu. Je ne parlerai pas! Dans les champs, dans la yaourterie qui fait la renommée du couvent de Koubri, je ferai des images. À la laverie, dans les entrepôts de grains, je suivrai soeur Marie, ma guide. La veille d’un déchargement de grains, elle avait tué devant moi un serpent à coups de machette alors que nous allions aux nouvelles auprès de plusieurs hommes affairés à la réparation d’une pompe à eau, celle qui alimente l’ensemble de la bananeraie. J’en ai rapporté des photos et des mots.
Je ne savais pas trop ce qui allait se passer durant ce voyage, contrairement aux déplacements pour les reportages où tout est planifié; où souvent j’étais accompagné d’un journaliste chargé de l’écriture et des interviews. Je serai seul pour cette balade africaine et chaque jour serait une aventure. Je ne voulais rien rater, ne rien oublier. J’allais tout noter. C’est au deuxième soir que l’idée m’est venue. J’étais dans la cellule mise à disposition par les soeurs bénédictines. Un lit simple avec moustiquaire, une table, une chaise, quelques crochets pour suspendre les vêtements et une lampe à pétrole. Le générateur était coupé à vingt heures, soit une heure après le dîner qui se déroule en silence. Chaque soir pendant dix nuits, j’ai pris des notes. Je ne m’étais jamais consacré à cet exercice. La nuit africaine m’en donnait l’occasion. Je n’avais que des films argentiques pour faire ce reportage. Il n’était donc pas possible de trier les images ou d’en vérifier la qualité. Les images de la journée réalisées, je devais me trouver une autre activité pour le soir. Le rituel était simple: attendre la tombée de la nuit, lire jusqu’à la coupure du générateur qui éteignait l’ampoule suspendue au plafond, allumer la lampe odorante et coucher sur le papier les propos tenus dans la journée, les sujets de conversations, des détails, qui n’apparaîtraient pas à l’image. J’y notais même la longueur des poils de bras (environ 5 cm) que le frère Adrien, venu de l’Aveyron et plus exactement de Millau, tournicotait lorsqu’il sentait qu’il était en retard pour les vêpres. Je suis allé partout où il est possible d’aller en dix jours. Dans la journée j’accompagnais Renée et Gilles à toute sorte de rendez-vous: dans des dispensaires, dans des églises, chez des prêtres, des médecins. Et c’était avec plaisir que je me retrouvais le soir devant mes notes.
J’y écrivais les noms, les couleurs, les petites phrases entendues dans la journée. Mes humeurs y sont couchées noir sur blanc. Je les relis parfois en me disant qu’il faut que je les finalise. J’ai d’autres émotions à la relecture de certaines notes, très différentes de celles que je peux avoir en regardant une image concernant le même sujet. Les mots apportent d’autres souvenirs. Dans mes notes manuscrites, je retrouve un emploi du temps. Les pages que j’ai couvertes de mots sont numérotées. J’y retrouve la chronologie de mon voyage et de mes émotions. Les images sont entourées de mots et de détails hors cadre. Des odeurs dans les champs de bananiers, en passant par le goût des différents plats auxquels j’ai pu goûter, tout y est inscrit, les bruits en font partie. Les visites de villages me semblent plus vivantes, plus odorantes.
À la relecture, l’entretien avec le chef d’un village, me semble différent. Je me souviens du sujet de la discussion, du sceptre et de la coiffe qu’il avait voulu arborer pour faire une photo « officielle ». Je l’avais trouvé sévère et dur une fois la tenue en place. Il n’en était rien. Il nous avait offert un coq, pour terminer une négociation au sujet de l’installation d’un puits dans son village. Nous n’avions pu garder le coq dans la voiture à cause de la chaleur et l’avions donné dans le premier village traversé. Je ne me serais pas souvenu de ces petits riens, sans ces notes. Je pourrais presque écrire une histoire par image, tant elles me sont utiles pour raviver des souvenirs.
Dans moins de trois semaines, je pars pour le Canada réaliser la deuxième partie de l’exposition, j’en ai formalisé le contenu par écrit ce week-end.
Un indice, je pars en argentique…
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