« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
Ah France Culture… Que je passe la journée à corriger des copies ou à lire des articles ultra-pointus sur la génétique proustienne, j’ai souvent l’impression que c’est France Culture qui me redonne la foi.
Vendredi dernier, je travaille chez moi et je fais une pause vers 14h pour déjeuner. En bonne thésarde qui veut se changer les idées tout en restant concentrée encore une demi-journée, je mets France Culture et je tombe sur une émission que je n’avais jamais écoutée, Science publique. Le producteur a invité deux éditrices et deux chercheurs pour discuter de l’édition des livres de sciences, et c’est plus fort que moi, mon cœur penche pour les éditrices. Évidemment, je me reconnais davantage dans les discours du professeur de psychologie et de l’astrophysicien, qui évoquent la nécessité pressante, pour les chercheurs, de publier toujours davantage et dans des revues toujours plus spécialisées, de préférence en anglais, pour obtenir la reconnaissance de ses pairs.
Mais il n’y a rien à faire, c’est Odile Jacob et Sophie Bancquart, la PDG des éditions Le Pommier, qui me font rêver avec leur credo impeccablement exprimé, au point que ma fourchette reste comme immobilisée dans son ascension par la montée en moi d’un nouvel enthousiasme. Dès sa première tirade, Odile Jacob devient ma nouvelle idole: enfin une femme d’affaires qui a réussi à imposer une marque irréprochable dans le monde de la science et de culture. Quant à Sophie Bancquart, j’ai envie de lui crier un grand merci quand elle met enfin des mots sur l’intuition que j’avais depuis le début de ma thèse: « ce sont souvent les livres de vulgarisation scientifique qui ré-enchantent le quotidien du thésard et lui redonnent l’impression que son travail a un sens« .
C’est peut-être très paradoxal, mais ça me paraît une certitude: l’hyper-spécialisation et l’hyper-technicité demandées aujourd’hui aux chercheurs de toutes les disciplines –même, et peut-être surtout en littérature– finissent par assécher de l’intérieur. On s’impose une concentration extrême huit à douze heures par jours, six ou sept jours par semaine, mais on reste parfois sans voix quand on nous demande à un dîner ou en famille sur quoi on travaille en ce moment. Ça m’est arrivé plusieurs fois de ressentir alors une grande lassitude en visualisant d’un seul coup tous les livres qui se sont succédé sur ma table à la BNF, et qui m’ont demandé une énergie presque inversement proportionnelle à la capacité d’expliquer en trois phrases les avancées ridicules que j’ai effectuées en trois semaines.
Alors que quand je lis des livres de vulgarisation, notamment en histoire, ou quand j’écoute des émissions sur France Culture, c’est comme un nouveau souffle qui vient me redonner du courage, et je serais capable d’en parler pendant des heures.
J’ajouterai juste un bémol: des émissions de vulgarisation sur Proust, je trouve ça sympa. Par contre les livres de vulgarisation sur l’auteur que j’étudie toute la journée, ça me semble insupportable. Presque une insulte à mon travail.
Comme quoi la vulgarisation, on aime surtout quand ça concerne les autres, ou pendant les pauses-déjeuner. Comme quoi aussi, faire un bon livre de vulgarisation, c’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile pour un chercheur.
À suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
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Vendredi dernier, je travaille chez moi et je fais une pause vers 14h pour déjeuner. En bonne thésarde qui veut se changer les idées tout en restant concentrée encore une demi-journée, je mets France Culture et je tombe sur une émission que je n’avais jamais écoutée, Science publique. Le producteur a invité deux éditrices et deux chercheurs pour discuter de l’édition des livres de sciences, et c’est plus fort que moi, mon cœur penche pour les éditrices. Évidemment, je me reconnais davantage dans les discours du professeur de psychologie et de l’astrophysicien, qui évoquent la nécessité pressante, pour les chercheurs, de publier toujours davantage et dans des revues toujours plus spécialisées, de préférence en anglais, pour obtenir la reconnaissance de ses pairs.
Mais il n’y a rien à faire, c’est Odile Jacob et Sophie Bancquart, la PDG des éditions Le Pommier, qui me font rêver avec leur credo impeccablement exprimé, au point que ma fourchette reste comme immobilisée dans son ascension par la montée en moi d’un nouvel enthousiasme. Dès sa première tirade, Odile Jacob devient ma nouvelle idole: enfin une femme d’affaires qui a réussi à imposer une marque irréprochable dans le monde de la science et de culture. Quant à Sophie Bancquart, j’ai envie de lui crier un grand merci quand elle met enfin des mots sur l’intuition que j’avais depuis le début de ma thèse: « ce sont souvent les livres de vulgarisation scientifique qui ré-enchantent le quotidien du thésard et lui redonnent l’impression que son travail a un sens« .
C’est peut-être très paradoxal, mais ça me paraît une certitude: l’hyper-spécialisation et l’hyper-technicité demandées aujourd’hui aux chercheurs de toutes les disciplines –même, et peut-être surtout en littérature– finissent par assécher de l’intérieur. On s’impose une concentration extrême huit à douze heures par jours, six ou sept jours par semaine, mais on reste parfois sans voix quand on nous demande à un dîner ou en famille sur quoi on travaille en ce moment. Ça m’est arrivé plusieurs fois de ressentir alors une grande lassitude en visualisant d’un seul coup tous les livres qui se sont succédé sur ma table à la BNF, et qui m’ont demandé une énergie presque inversement proportionnelle à la capacité d’expliquer en trois phrases les avancées ridicules que j’ai effectuées en trois semaines.
Alors que quand je lis des livres de vulgarisation, notamment en histoire, ou quand j’écoute des émissions sur France Culture, c’est comme un nouveau souffle qui vient me redonner du courage, et je serais capable d’en parler pendant des heures.
J’ajouterai juste un bémol: des émissions de vulgarisation sur Proust, je trouve ça sympa. Par contre les livres de vulgarisation sur l’auteur que j’étudie toute la journée, ça me semble insupportable. Presque une insulte à mon travail.
Comme quoi la vulgarisation, on aime surtout quand ça concerne les autres, ou pendant les pauses-déjeuner. Comme quoi aussi, faire un bon livre de vulgarisation, c’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile pour un chercheur.
À suivre.
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