« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
Après sept semaines de cours, je suis bien contente d’avoir enfin une semaine de vacances. C’est le seul avantage de calquer les rentrées universitaires sur les rentrées scolaires: la plupart des facs ouvrent à présent leurs portes début septembre, donc on compense avec une semaine de vacances fin octobre et tout le monde est gagnant, les profs comme les élèves.
Comme j’ai besoin de changer d’air, je pars 5 jours en Normandie avec mon copain, dans un petit village au bord de la mer, pas très loin de Trouville et de Honfleur. C’est les vacances, mais j’ai quand même deux gros paquets de copies à corriger, une communication à écrire pour un colloque mi-novembre et puis ma thèse, toujours ma thèse, que j’ai du mal à oublier plus de trois ou quatre heures d’affilée.
En plus la Normandie, c’est magnifique et reposant mais c’est le dernier endroit où je puisse, précisément, oublier ma thèse. Avec mon copain, on se promène pendant des heures sur la plage déserte en regardant « le soleil rayonnant sur la mer« , on imagine « l’essence crémeuse qui poudrait encore de son écume les bourgeons de feuilles » de pommiers au printemps dernier, et on débouche comme par hasard sur l’hôtel des Roches-Noires, à Trouville, où Proust séjourna plusieurs fois au cours de son enfance, bien avant Marguerite Duras. Le Grand Hôtel de Balbec, c’est au Grand Hôtel de Cabourg qu’il faut aller le chercher, mais le héros de Jean Santeuil –« l’autre » roman de Proust- séjourne bien, lui, aux Roches-Noires, dans une chambre qu’il trouve d’abord très inhospitalière.
Bref en pays normand, je suis indéniablement en terre proustienne, et je me retrouve comme le narrateur de la Recherche qui apprend à voir la mer en admirant les marines du peintre Elstir -si vous voulez imaginer à quoi ressemblent ses toiles, pensez à du Whistler, dont il est presque l’anagramme (c’est ce qui est bien avec Proust, il est parfois moins difficile à décrypter qu’on ne pourrait le croire).
Le matin, comme le narrateur des Jeunes filles en fleurs II au Grand Hôtel, j’ouvre les rideaux « dans l’impatience de savoir quelle était la Mer qui jouait ce matin-là au bord du rivage, comme une Néréide. Car chacune de ces mers ne restait jamais plus d’un jour« . Et à midi, je pense au passage où il regarde, derrière les vitres de la salle à manger du Grand Hôtel, le soleil « qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière, écumante comme du lait, tandis que par moments s’y promenaient ça et là de grandes ombres bleues que quelque dieu semblait s’amuser à déplacer, en bougeant un miroir dans le ciel.«
On l’a compris chez Proust, la succession des mers et la vue des pommiers en fleurs se dégustent comme une crème normande richement onctueuse, ou comme une bière et un cidre très frais. En littérature, ça s’appelle des synesthésies: une sensation visuelle débouche sur une sensation gustative ou olfactive, les sens se mêlent et se répondent, se stimulent l’un l’autre. Et puis comme par hasard, les comparaisons et les métaphores restent étroitement motivées par le cadre normand: les fleurs de pommiers sont « crémeuses » et la mer « écumante comme du lait« . Maupassant avait déjà compris l’astuce, et on trouve souvent ce genre de procédés dans ses contes normands, par exemple dans « La Maison Tellier« . C’est habile et efficace: en général, ça s’appelle un chef d’œuvre.
Et pour les vacanciers, ça permet de passer des vacances encore plus agréables quand on se promène sur la plage avec quelques images de Proust en tête. C’est là que je me dis que lire Proust en Normandie, c’est vraiment le pied. Mais lire Proust en Normandie quand on écrit une thèse sur cet auteur, c’est motivant mais ça pourrait devenir vicieux. À consommer avec modération donc, comme de la crème normande.
Comme j’ai besoin de changer d’air, je pars 5 jours en Normandie avec mon copain, dans un petit village au bord de la mer, pas très loin de Trouville et de Honfleur. C’est les vacances, mais j’ai quand même deux gros paquets de copies à corriger, une communication à écrire pour un colloque mi-novembre et puis ma thèse, toujours ma thèse, que j’ai du mal à oublier plus de trois ou quatre heures d’affilée.
En plus la Normandie, c’est magnifique et reposant mais c’est le dernier endroit où je puisse, précisément, oublier ma thèse. Avec mon copain, on se promène pendant des heures sur la plage déserte en regardant « le soleil rayonnant sur la mer« , on imagine « l’essence crémeuse qui poudrait encore de son écume les bourgeons de feuilles » de pommiers au printemps dernier, et on débouche comme par hasard sur l’hôtel des Roches-Noires, à Trouville, où Proust séjourna plusieurs fois au cours de son enfance, bien avant Marguerite Duras. Le Grand Hôtel de Balbec, c’est au Grand Hôtel de Cabourg qu’il faut aller le chercher, mais le héros de Jean Santeuil –« l’autre » roman de Proust- séjourne bien, lui, aux Roches-Noires, dans une chambre qu’il trouve d’abord très inhospitalière.
Bref en pays normand, je suis indéniablement en terre proustienne, et je me retrouve comme le narrateur de la Recherche qui apprend à voir la mer en admirant les marines du peintre Elstir -si vous voulez imaginer à quoi ressemblent ses toiles, pensez à du Whistler, dont il est presque l’anagramme (c’est ce qui est bien avec Proust, il est parfois moins difficile à décrypter qu’on ne pourrait le croire).
Le matin, comme le narrateur des Jeunes filles en fleurs II au Grand Hôtel, j’ouvre les rideaux « dans l’impatience de savoir quelle était la Mer qui jouait ce matin-là au bord du rivage, comme une Néréide. Car chacune de ces mers ne restait jamais plus d’un jour« . Et à midi, je pense au passage où il regarde, derrière les vitres de la salle à manger du Grand Hôtel, le soleil « qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière, écumante comme du lait, tandis que par moments s’y promenaient ça et là de grandes ombres bleues que quelque dieu semblait s’amuser à déplacer, en bougeant un miroir dans le ciel.«
On l’a compris chez Proust, la succession des mers et la vue des pommiers en fleurs se dégustent comme une crème normande richement onctueuse, ou comme une bière et un cidre très frais. En littérature, ça s’appelle des synesthésies: une sensation visuelle débouche sur une sensation gustative ou olfactive, les sens se mêlent et se répondent, se stimulent l’un l’autre. Et puis comme par hasard, les comparaisons et les métaphores restent étroitement motivées par le cadre normand: les fleurs de pommiers sont « crémeuses » et la mer « écumante comme du lait« . Maupassant avait déjà compris l’astuce, et on trouve souvent ce genre de procédés dans ses contes normands, par exemple dans « La Maison Tellier« . C’est habile et efficace: en général, ça s’appelle un chef d’œuvre.
Et pour les vacanciers, ça permet de passer des vacances encore plus agréables quand on se promène sur la plage avec quelques images de Proust en tête. C’est là que je me dis que lire Proust en Normandie, c’est vraiment le pied. Mais lire Proust en Normandie quand on écrit une thèse sur cet auteur, c’est motivant mais ça pourrait devenir vicieux. À consommer avec modération donc, comme de la crème normande.
À suivre.
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