Paula doit présenter un nouveau projet, ce qui la met sur des charbons ardents…
C’est une constante que j’ai notée ici, les gens parlent toujours de la saison à venir. Cela fait trois mois qu’on m’annonçait les fortes températures d’avril au cours desquelles les 50°C mettent les neurones à rude épreuve. Maintenant qu’elles pointent sérieusement, il faudrait déjà anticiper tous les désagréments des pluies.
Il devrait pleuvoir, il faut qu’il pleuve, il va pleuvoir, il pleut …
Mon alarme est surtout liée à un projet « eau » que je vais enfin pouvoir présenter demain matin à notre ministère de tutelle. Il aurait dû démarrer en janvier de façon à pouvoir réaliser tous les forages ou leur réhabilitation en fin de saison sèche, quand le niveau des nappes permet des calibrages corrects. Nous sommes fin mars, je ne suis déjà pas certaine que nous pourrons intervenir à temps; alors, si les pluies ont trois mois d’avance, rien ne va plus.
Le projet a des mois de retard parce notre chère et attentionnée direction de tutelle a décidé de se mêler de tout sans en avoir ni les moyens ni la disponibilité: notre projet 2018, dont celui-ci est une continuation sur d’autres zones (au Tchad le besoin en eau est un puits sans fond…), aurait dû être évalué en novembre mais cela ne s’est fait qu’à la fin janvier et le nouveau projet, déposé depuis la mi-février, traînait sur une étagère là-bas chez eux sous de fallacieux prétextes de « soit transmis » (appellation locale des courriers d’accompagnement) non règlementaire.
Et autre tour de vis, les nouvelles procédures imposent aux organisations humanitaires d’obtenir les accords de projet avant toute activité de démarrage, alors que jusqu’à l’année dernière il était possible de démarrer un projet pendant que la demande d’agrément suivait son cours paresseux, ce qui était sage puisque celle-ci pouvait – et peut – souvent prendre plusieurs mois.
Pompe manuelle © francetchaddeveloppement.eu
Demain, mardi, se déroulera enfin la présentation. Comme je n’ai été avertie de la date de la réunion que vendredi après-midi, personne des équipes projets n’est disponible en capitale. Finalement, je choisis de me faire accompagner par le logisticien. C’est stratégique: il est tchadien – donc la preuve vivante que mon organisation confie des postes de responsable à des nationaux – il connaît bien l’histoire de la mission, et c’est un homme. Outre son appui technique, je souhaite aussi son témoignage éventuel, le président de séance étant un monsieur souvent grossier, particulièrement envers les femmes.
Sept personnes de ministères techniques estimeront le bien-fondé du projet, devenu fort modeste après avoir été amputé du financement d’un bailleur que nous n’avons pas su séduire. Les douanes seront déçues (aucun matériel à importer avec toutes les démarches afférentes) mais les impôts pourront calculer les retombées fiscales de notre projet. Pourquoi pas? Tant qu’il y a des jetons de présences (que mon organisation va devoir payer à tous ces messieurs et dont le montant m’a été rappelé dans le courrier d’invitation reçu ce matin), il y a un intérêt.
Je présume que les discussions seront rudes car les relations sont tendues depuis trois mois entre le gouvernement et le milieu humanitaire, conséquences de nouvelles règles d’intervention sujettes à discussion alors que l’espace de discussion n’est pas ouvert.
24h plus tard … Le temps des incorruptibles
Mauvaise anticipation. Après une brève présentation du projet nous avons eu deux heures d’échanges détendus sur des points de détails techniques. Comme j’ai une aversion aiguë pour les présentations Powerpoint, mes interlocuteurs ont dû se référer à leur version imprimée; puisque ces messieurs exigent de recevoir un jeton de présence, qu’ils le gagnent! Pas de femme autre que moi dans l’assemblée, mais l’un de ces hommes a tout de même regretté que le projet ne soit pas plus ambitieux quant à la représentation des femmes. Simplement réaliste. Il avait dû lire une note ministérielle ou un décret présidentiel publié pour caresser les bailleurs dans le sens du poil.
Vu la satisfaction de tous les acteurs, vu la bonne implication des services déconcentrés de l’État, vu la qualité des ouvrages et projets précédents (à moins que ce jugement ne soit une manifestation de la maîtrise tchadienne de la flatterie), le projet est approuvé. Mais pas le budget, car il y manque une ligne, le 1% du budget des projets que les ONG doivent désormais verser au gouvernement, pour financer les dépenses de fonctionnement de leur direction de tutelle.
J’en prends note placidement et alerte le siège que cette taxe, qui agite le milieu humanitaire depuis des mois, est désormais effective et applicable et que j’ai besoin de son positionnement – cette taxe est-elle conforme aux principes humanitaires? Si non, quelle seront les conséquences concrètes pour la mission dans le pays? Et maintenant, j’attends.
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