Un autre monde: Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #197
À chaque passage d’un monde à l’autre, Paula subit un choc physico-culturel que l’habitude n’amoindrit pas…
« Le lambeau »
Sa terrasse du neuvième étage offre une vue à 180 degrés. Je suis assez fascinée et pour commencer assez heureuse de ne pas plonger immédiatement dans la ville. J’apprends qu’à un angle de la rue d’en face se situaient les bureaux de Charlie Hebdo, alors je visualise un peu le récit de Philippe Lançon, Le lambeau, que j’ai lu récemment. Je l’avais choisi au hasard à la bibliothèque, sans en réaliser le sujet sinon je ne l’aurai pas lu. Ma méfiance s’est rapidement muée en admiration pour cette mise en mots de ce qui relève pour moi de l’indicible. À l’époque de l’attentat, j’avais échappé aux images.
Depuis hier, j’ai plongé dans la ville pour quelques courses, une exposition, un dîner et un déjeuner familiaux. J’ai mal aux jambes; celles-ci avaient quelque peu oublié leur fonction primaire. À N’Djaména, je ne marche pas, ou si peu. Dans Paris, je dois aussi réapprendre les escaliers. Je me souviens de la fascination qu’exerçaient les escaliers sur un ami sahraoui que j’avais accueilli à Paris. Il avait souhaité négliger l’ascenseur pour grimper au premier étage de la Tour Eiffel: il n’a jamais voulu reconnaître combien, le lendemain, ses jambes s’étaient vengées.
De la vaisselle et de la petite planète …
Nous passons dans un mini supermarché et comme chaque fois, l’abondance de choix me laisse songeuse. Je repère pas moins de quatre flacons de produits vaisselle « amis de la planète », même si une lecture attentive de leur composition (que le Grand tic me toque, je suis capable de prendre dix minutes pour déchiffrer la composition de différents liquides vaisselle) me plonge dans une profonde perplexité car j’ai l’idée incongrue de les comparer à celle des liquides vaisselle qui ne sont pas des « amis de la planète ». La différence est subliminale. Nous prendrait-on pour des quiches? Marco parvient à me ramener à l’ici et maintenant en apparaissant les bras chargés de tout le reste de la liste. Je choisis la marque qui se voulait écologique quand le concept n’était pas encore « tendance ». Dans la capitale du Tchad, tous les liquides vaisselle disponibles sont 100% nocifs – au moins, c’est simple.
Une amie de notre ami, le temps d’un dîner, raconte le quartier, ses changements et constantes, l’ouverture d’un marché, le passage qui permet de circuler d’une rue à l’autre. Je l’écoute captivée, moi qui ai décidé de ne plus apprendre les villes où je demeure. Six mois à N’Djaména et je ne suis pas certaine de savoir me rendre du domicile au bureau sans me tromper.
Elle nous raconte aussi avoir voulu participer au recensement annuel des sans-abris, le second de ce genre à Paris, à l’instar des comptages annuels faits par des bénévoles dans des grandes villes américaines et européennes. Cette année, ils seraient 3622 dans la capitale, selon les comptages des bénévoles et des agents de parkings, du métro et des gares.
Combien seraient-ils à N’Djaména? En traversant la ville pour me rendre à l’aéroport vers trois heures samedi matin, j’avais justement évoqué le sujet avec le chauffeur. C’était la première fois que je circulais si tard ou si tôt et je cherchais les sans-abri: ils ne sont visiblement pas dans le centre-ville. Le président n’apprécie pas que la misère s’étale là où se font les affaires.
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