La vie en plein air, les mains dans la terre et le goĂ»t de lâadversitĂ© #04

VoilĂ plus de deux semaines que Robin et ZoĂ© ont jetĂ© les amarres pour devenir gardiens dâune petite lâĂźle au large de la Bretagne. Deux premiĂšres semaines qui ne ressemblent pas vraiment Ă ce quâavait pu escompter Robin. Avec un soleil radieux comme invitĂ© surprise, le mois de fĂ©vrier ne sâest en effet pas tout Ă fait passĂ© comme prĂ©vuâŠ
Fausse alerte
On me lâavait dit, redit et re-redit. Le mois de fĂ©vrier est lâun des plus rudes de lâannĂ©e dans cette rĂ©gion du monde. La pluie, le froid, la houle et le vent qui dĂ©passe rĂ©guliĂšrement Force 7⊠Durant les longs mois dâattente qui ont prĂ©cĂ©dĂ© notre dĂ©part, je mâĂ©tais naturellement constituĂ© un paysage mental pour le moins chaotique de nos premiĂšres semaines sur lâĂźle. Et cela me plaisait. Quoi de mieux en effet que de commencer par le pire pour peu Ă peu gagner le printemps et dĂ©couvrir lâĂźle sous un nouveau jour au fur et Ă mesure que la belle saison approche? En guise de provision, jâavais donc prĂ©vu de quoi mâaider à « tenir le coup »: les boĂźtes de chocolats reçues Ă NoĂ«l Ă©taient restĂ©es dans leurs emballages, les marrons glacĂ©s et les bouteilles de single malt aussi. Pour mieux les apprĂ©cier, jâavais Ă©galement mis de cĂŽtĂ© quelques essais et autres romans, prenant tous pour thĂšme principal la solitude et la nature. Bien sĂ»r, je savais quâun certain nombre de travaux dâintĂ©rieur mâattendait ici, notamment pour lâamĂ©nagement de notre petite maison. Mais si je ne pouvais profiter pleinement, dĂšs mon arrivĂ©e, des paysages et de la nature telle quâelle sâoffre Ă nous ici lorsque le temps nâest pas trop mauvais, alors je comptais bien le faire Ă travers le rĂȘve et la littĂ©rature.
Depuis notre arrivĂ©e pourtant, je nâai ouvert aucun livre. Du moins aucun de ceux que jâavais mis de cĂŽtĂ©. Les seuls qui mâont accompagnĂ© ces derniĂšres semaines sont ceux qui concernent la mise en place de notre potager et le guide pour apprendre Ă faire des nĆuds de marin. Depuis deux semaines en effet, il fait un temps anormalement radieux sur lâĂźle. Si bien que nous passons, ZoĂ© et moi, lâintĂ©gralitĂ© de nos journĂ©es et une partie de nos soirĂ©es dehors, sous un ciel bleu azur le jour et Ă©toilĂ© dâun million dâastres le soir. De fait, nos activitĂ©s nâont donc pas grand-chose Ă voir avec ce que nous avions prĂ©vu. Jâai pu apprendre sereinement Ă naviguer avec notre petit bateau sur une mer dâhuile, pĂȘcher mes premiĂšres huĂźtres sauvages et quelques autres coquillages, prĂ©parer lâintĂ©gralitĂ© des bacs qui accueilleront le mois prochain notre sĂ©lection de lĂ©gumes et surtout, entamer une partie des travaux dâextĂ©rieur que nous nâĂ©tions censĂ©s rĂ©aliser quâau printemps. Avec tout ça, jâai dĂ©couvert des joies insoupçonnĂ©es, qui ont toutes, de prĂšs ou de loin, Ă voir avec un certain principe dâĂ©chec et de rĂ©pĂ©tition.

Les joies de la répétition
Parmi la longue liste de choses Ă faire aux beaux jours, rares sont celles vis-Ă -vis desquelles je nourrissais de lâapprĂ©hension. Peu de connaissances techniques sont en effet nĂ©cessaires pour ratisser, nettoyer, bĂȘcher, ratisser encore, tailler ou encore ranger du bois. Le chauffage central Ă©tant reliĂ© Ă une chaudiĂšre Ă bois, nous avions pour mission, quand le temps le permettrait, de mettre au sec un stock consĂ©quent de bois issu des travaux dâĂ©lagage effectuĂ©s il y a prĂšs de deux ans sur lâĂźle.
Profitant du beau temps, jâai donc dĂ©cidĂ© il y a quelques jours de prendre les devants, dâatteler la remorque Ă notre petit tracteur et dâen charger quelques mĂštres cubes pour les mettre Ă lâabri dans la chaufferie. Hormis la dĂ©couverte dâune chauve-souris en train dâhiberner entre deux rondins, quelques Ă©chardes qui ont traversĂ© mes gants trop fins et des manĆuvres parfois laborieuses avec le tracteur, aucune peur, aucune difficultĂ©. Je range mes bĂ»ches une Ă une et une fois le premier voyage effectuĂ©, jâai face Ă moi un somptueux tas magnifiquement bien rangĂ©.
Ce nâest que le lendemain que les ennuis commencent, lorsque je mâaperçois, en voulant mettre en marche le chauffage, que les morceaux sont bien trop gros pour rentrer dans la chaudiĂšre. Ni trop longs, ni trop humides. Tout simplement trop gros. Me voilĂ donc face Ă un premier Ă©chec. Tout le travail effectuĂ© la veille est Ă dĂ©faire. AprĂšs quelques coups de hache infructueux, je dĂ©cide en effet de reprendre mon tracteur et de vider mon stock de bois pour tenter de le tronçonner dans un endroit de lâĂźle prĂ©vu Ă cet effet. Me voilĂ donc face Ă un deuxiĂšme Ă©chec puisque je mâaperçois vite quâil me faut environ 10 minutes pour couper en deux chacune des bĂ»ches. Je repars donc Ă la chaufferie chercher un merlin, je reviens Ă mon stock, place sur le sol une souche plate et sĂšche et commence Ă mâacharner sur ces maudites qui ne cessent de se casser la gueule Ă chaque coup portĂ©. Ne perdant pas espoir, je choisis de mâattaquer aux plus petites et lĂ , miracle, au premier coup portĂ©, elles se fendent en deux. Jâai gagnĂ©. Du moins je crois. Car la plupart dâentre elles continuent de me rĂ©sister. Mais lorsque, enfin, Ă force de coups, je parviens Ă les fendre, câest une joie immense qui me traverse.
Une joie insoupçonnĂ©e, comme si jâavais enfin accompli la mission que je mâĂ©tais moi-mĂȘme donnĂ©e. Je comprends alors que cette premiĂšre Ă©preuve a quelque chose dâinitiatique. Car chaque jour ou presque, quelque chose ici me rĂ©siste. Chaque jour ou presque, je dois mâexercer, rĂ©flĂ©chir, essuyer un, deux, trois Ă©checs pour enfin parvenir Ă ce Ă quoi jâaspire. Câest une vie de rĂ©pĂ©tition qui nous attend ici. Et, pour lâinstant, jâen suis convaincu, câest cette vie lĂ que jâai envie de mener.

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